Vous trouverez ci-après la version courte d’un article de Michel Prouzet sur le thème « Vietnam: l’obscure clarté de l’aménagement foncier à l’heure de ‘l’économie de marché à orientation socialiste »… Ce plus long article devrait être publié prochainement dans la revue Etudes Foncières.
Depuis l’année 1988, date de sa première loi foncière promulguée après sa réunification en 1975, le Vietnam (de l’Oncle Ho) a connu un foisonnement intense de réformes législatives et réglementaires, mettant ainsi un terme à la disparition de fait de toute règle d’aménagement foncier durant de longues années après son indépendance; et cela dans son souci de moralisation révolutionnaire des relations entre l’homme et la terre nourricière. Aussi bien, comme pour rattraper le temps perdu, le pays s’est-il attaché, au cours des vingt dernières années à dessiner, à l’aide d’un grand renfort de textes, les nouvelles assises de sa politique foncière ainsi que l’appareillage cadastral allant avec, tout en profitant de l’occasion pour se doter de toute une gamme d’outils d’aménagement foncier, conçus pour guider le développement économique de son territoire ainsi que les modes d’occupation des sols.
Lois, décrets, décisions, résolutions se sont succédé au point qu’il n’est plus apparu nécessaire de rédiger des textes sur la planification spatiale en milieu urbain et rural. Le droit de l’urbanisme, tel qu’il se définit en Europe, est donc resté à l’écart de l’inflation législative et réglementaire.
Une des causes probables de cet état de choses tient sans doute au fait que, curieusement pour des esprits formés au principe d’autonomie du droit de l’urbanisme (pensons au code français de l’urbanisme ou au Bundesbaugesetzbuch allemand), les règles de l’aménagement urbain – et rural – trouvent directement leur source dans la législation foncière du pays et plus précisément dans la grande loi foncière (146 articles) du 26 novembre 2003, telle que révisée le 19 juin 2009, et telle qu’elle va très probablement être à nouveau révisée dans un très proche avenir, selon les prévisions des observateurs en poste à Hanoi.
Mais pour l’heure, point n’est vraiment besoin de chercher ailleurs que dans la loi foncière de 2003 / 2009 les modalités juridiques applicables au développement urbain. Il suffit presque de se reporter à la loi seule législation foncière pour comprendre comment le pays s’y prend pour guider et canaliser un développement urbain en plein essor.
Instrumentalisation du droit foncier
Le Vietnam offre l’exemple d’un régime foncier à plusieurs vitesses, si l’on ose dire. Soucieux d’adapter des règles de gestion foncière à la nature physique des terres, et animé de la volonté pédagogique d’assurer une occupation des sols aussi rationnelle que possible tout en faisant l’économie de lourdes procédures de planification spatiale, le législateur a édicté, pour chaque catégorie de territoire, des règles particulières de gestion et d’utilisation des terres.
34 catégories de terrains ont ainsi été définies et regroupées, dans la loi foncière de 2003 / 2009, dans trois groupes de terres : terres agricoles (articles 70 à 82), terres non-agricoles (articles 83 à 102) et terres à usage non encore déterminé (articles 103 à 104). Pour chacune de ces catégories de sols, des règles spécifiques (et parfois assez détaillées) de composition urbaine, de mise en valeur ou de gestion sont édictées par la loi sinon par voie de décret. Tel est le cas par exemple, pour les zones destinés à accueillir : des constructions en milieu rural (article 83), des habitations en milieu urbain (article 84), des habitations collectives (article 85), des constructions nouvelles en nombre (article 86), des logements en milieu naturel à proximité de jardins et d’étangs (article 87), des bureaux ou des activités non professionnelles ; etc.
Quant à l’identité des gestionnaires fonciers (comités populaires compétents, communautés de population, ménages etc.), elle a fait aussi l’objet de précisions juridiques pour chaque type de zones.
L’ensemble du texte forme une réglementation tronçonnée, mais parfois assez dense ou renvoyée à une décision ministérielle ultérieure pour plus de précision ; autant de moyens pour faire l’économie d’encombrants règlements locaux d’occupation des sols. En somme, les articles 70 à 104 dessinent les contours d’une réglementation nationale de l’urbanisme, de l’environnement, de la construction et du développement rural appliquée tout spécialement à la gestion des terres, en plus des textes généraux consacrés à ces questions. On a bien affaire à une forme d’instrumentalisation de la législation foncière au service de l’interventionnisme étatique ; le destinataire des règles attachées à la gestion des 34 catégories de terrains étant l’administration en charge de la délivrance des droits d’usage des sols.
Vers une nouvelle donne foncière
En cette fin d’année 2012 la zone de turbulences législatives ou réglementaires ne semble pas avoir déjà été franchie, mais il serait surprenant que les évolutions en cours restreignent le rôle de droit de l’urbanisme appelé à être joué par la législation foncière.
En revanche, on peut raisonnablement supposer que le législateur vietnamien, respectueux des décisions du Parti Communiste Vietnamien (PCV), s’attache à édicter des nouvelles mesures de politique foncière destinée à donner corps aux objectifs fonciers de développement, tels que proclamés par le 11ème Congrès du PCV (11-19 juin 2011) et amplifiés dans le « Socio-Economic Development Strategy 2011-2020 ». Les objectifs en question visent à l’édification d’une « économie de marché à orientation socialiste » reposant non plus seulement sur une agriculture performante (cet objectif est en partie atteint), mais aussi sur la maîtrise de l’urbanisation, en plus de l’industrialisation et de l’attractivité du pays auprès des investisseurs étrangers.
Ce faisant, il est fort probable que le législateur veillera à venir à bout des maux qui pèsent sur la bonne gouvernance urbaine et que les autorités ne cherchent plus à dissimuler ; à savoir, entre autres, la lutte contre la spéculation foncière et contre la corruption. La loi foncière actuelle porte en effet sa part de responsabilité dans la survenance de ces maux.
Par exemple, l’accaparement des terres par des spéculateurs en milieu périurbain est lié à certaines dispositions législatives et plus précisément à celles qui permettent aux ménages ayant obtenu, à peu de frais en général, un droit d’usage du sol de le remettre sur le marché, mais au prix fort cette fois-ci. De même, l’opacité de la fixation des prix de la terre pourrait bien être un autre volet de la réforme législative en gestation. Dans le but d’attirer les investisseurs, les prix du foncier (notamment en milieu périurbain) sont en général très faibles par rapport à celui des terres destinées à un usage non agricole. Ce dernier point explique pourquoi une ville comme Hanoi ait pu apparaitre comme « une terre sans prix », selon le bon mot d’un observateur. Enfin, s’agissant de la lutte contre la corruption, celle-ci devrait effectivement passer par un affinement de la loi foncière conformément aux analyses faites par « National Anti-Corruption Strategy towards 2020 ». De fait, au sein des 58 Provinces du pays et de ses 5 municipalités, les niches foncières de corruption sont potentiellement légion. Les refus opposés à l’attribution, à la location, au changement d’affectation des terres, à l’autorisation préalable en matière d’affectation des terres passent comme autant de décisions modifiables, pour peu que l’on mette … de l’huile dans les rouages. La loi foncière de 2003 / 2009 ouvre grand les portes à la corruption, car elle donne compétence aux autorités pour prendre toute décision relative à la nature du droit d’usage ou à la durée des concessions foncières.
Gageons toutefois que la prochaine réforme foncière ne sera cependant pas la dernière dans les quelques années à venir.