Bulletin n°117b

Stratégies d’insertion professionnelle en Afrique francophone des jeunes diplômés de l’urbain

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Par Jacques Tiendrebeogo et Gautier Hunout

 

Un emploi décent du secteur du tertiaire

Le rapport mondial sur le développement humain (PNUD, 2013) définit l’emploi au sens large par « des activités génératrices de revenus réels ou imputés sous forme monétaire, ou en nature, formelles ou informelles ». L’Organisation internationale du travail développe la notion d’emploi décent qui représente « l’ensemble des aspirations des gens en ce qui concerne leur vie professionnelle ». De plus, le travail s’organise habituellement en secteur d’activité et en branche professionnelle.

Le cadre présenté ci-avant permet de déduire que les jeunes diplômés des métiers de l’urbain cherchent un emploi décent permettant des activités génératrices de revenus réels. L’emploi est dans le secteur d’activité de l’urbain qui est du secteur tertiaire étant donné que celui-ci fait suite à un niveau de qualification élevé de niveau master. Le Collectif français des jeunes urbanistes montre que les deux principaux employeurs des jeunes urbanistes sont les bureaux d’études et les administrations locales (1). Ainsi, ce secteur d’activité se composerait en Afrique également des bureaux d’étude, des administrations publiques, et de manière plus spécifique des ONGs et de l’auto-emploi.

Le taux d’accès à l’emploi de ce secteur d’activité n’est pas connu en Afrique. Néanmoins, une étude de l’Institut d’Afrique (2) propose des taux d’accès pour le secteur d’activité secteur du tertiaire, avec un niveau de qualification élevé. Par exemple, le Sénégal forme chaque année 100 000 personnes dans les établissements d’enseignement supérieur avec une absorption de 24 000 diplômés du marché de l’emploi, soit un taux d’accès à l’emploi tertiaire en tant que jeune diplômé de 24%.

Ce niveau d’accès restreint permet de situer le niveau des jeunes diplômés africains dans le secteur d’activité de l’urbain – qui partage les mêmes caractéristiques que les jeunes diplômés sénégalais – à un niveau équivalent. Il montre les difficultés rencontrées par les jeunes diplômés d’Afrique pour accéder à un emploi décent du secteur du tertiaire. Ce niveau limité d’accès à l’emploi amène de nombreux jeunes diplômés à rejoindre le secteur de l’emploi informel.

 

Stratégies des jeunes diplômés pour accéder à un emploi décent

Pour éviter de rejoindre le secteur de l’emploi informel, ces jeunes diplômés mettent en place plusieurs stratégies pour accéder à un emploi décent. En effet, des branches professionnelles du secteur tertiaire sont plus accessibles que d’autres en début de carrière, et les jeunes suivent des processus qui s’adaptent. A ce titre, une étude (3) montre que le principal processus est de débuter par l’auto-emploi pour obtenir des premières expériences avant d’être recruté par des bureaux d’étude. Dans le cadre des métiers de l’urbain, l’auto-emploi prend généralement la forme de consultance, en captant de manière autonome ou collective un financement d’un appel à projet pour mener des projets locaux dans un territoire.

Le réseau professionnel est indispensable car il donne des ailes surtout en début de carrière.

Effectivement il ressort que le réseau constitue une véritable opportunité pour trouver rapidement un premier emploi. Il permet aussi de développer sa carrière quel que soit le moment de vie professionnelle. Cependant, beaucoup de jeunes professionnels rencontrent des difficultés d’insertion professionnelle liées soit à l’absence soit à la faiblesse de leur réseau. Le manque de réseau professionnel constitue donc un obstacle à l’emploi. L’absence des relations profes-sionnelles réduit les chances de ces jeunes diplômés d’accéder aux opportunités souhaitées.

De plus, la mobilité lors des études ou en début de carrière participe à renforcer l’insertion professionnelle des jeunes. Celle-ci permet aux jeunes de capter des opportunités d’insertion qui ne sont pas disponibles sur leur territoire (3). La localisation des offres d’emploi du secteur de l’urbain renforce l’intérêt de la mobilité professionnelle en début de carrière. Ainsi, la mobilité peut être nationale, en effet, les emplois des bureaux d’études, des ONGs et des ministères, ou bien les opportunités de capter un financement pour l’auto-emploi, sont disponibles majoritairement dans les capitales.

De plus, il existe aussi une mobilité internationale qui résulte du chômage, du sous-emploi, des bas salaires et de la pauvreté des familles qui sont les principaux facteurs, auxquels s’ajoute l’offre d’emplois mieux rémunérés dans certains pays où le développement urbain constitue une des priorités des pouvoirs publics. Effectivement, l’intérêt accordé au secteur urbain varie énormément d’un pays à un autre rendant attrayant certains pays comme le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Sénégal où le sujet mobilise plusieurs Partenaires Techniques et Financiers PTF.

De façon générale, selon la localisation des écoles de formation, on peut regrouper les jeunes professionnels dans deux grands groupes (4). Le premier groupe concerne ceux qui sont formés dans des universités/instituts ou encore écoles situés dans leur pays d’origine. Le deuxième groupe concerne ceux qui sont formés hors de leur pays d’origine. Ces derniers sont les plus nombreux car les filières Architecture, Urbanisme et Gestion Urbaine sont très peu développées surtout en Afrique de l’Ouest. Cependant, ces dernières années, à l’instar du Cameroun, on observe de plus en plus l’essor de ces filières dans nos pays Ouest Africains. C’est donc dire que les difficultés d’insertion professionnelle varient d’un groupe à un autre.

Les étudiants formés en dehors de leur pays sont majoritairement des boursiers envoyés pour leurs études universitaires en Architecture, Urbanisme et Gestion Urbaine. Ceux dont les pays d’origine ne sont pas frontaliers avec le pays d’étude se retrouvent souvent à faire les cinq ans d’études sans rentrer chez eux. D’autres font l’effort de rentrer à mi-parcours c’est-à-dire après la Licence 3. Cette absence dans leur pays d’origine fait que ces derniers se retrouvent étrangers professionnels lorsqu’ils y retournent pour s’insérer dans le monde professionnel. Effectivement, ils arrivent en déphasage avec les réalités du monde de l’emploi de chez eux, manque de réseau et ne sont pas connus. Cette situation complique davantage leur insertion professionnelle.

Le deuxième cas concerne les étudiants qui sont allés effectuer leurs parcours universitaires hors de leurs pays d’origine. Ce groupe peut être subdivisé en deux à savoir ceux qui retournaient au pays pendant les vacances pour réaliser leurs stages et ceux qui n’y retournaient plus sauf à mi-parcours ou totalement à la fin des études universitaires.

L’insertion professionnelle est complexe malgré la rareté des diplômés preuve de la non saturation du secteur. Les opportunités sont très limitées. Les premiers emplois sont concentrés dans le secteur privé qui propose une rémunération précaire (variant entre 50 000 à 250 000 F CFA) par les aînés du domaine qui connaissent bien la valeur de leurs jeunes confrères. Effectivement, la rareté des opportunités contraint les jeunes professionnels désireux d’avoir une rémunération à travailler à temps plein dans ces bureaux d’études généralement dépourvus d’une responsabilité sociale.

Quant au secteur public, seulement des stages professionnels sans aucune rémunération sont offerts aux jeunes professionnels qui espèrent y avoir accès au prochain recrutement. Effectivement, le stage professionnel dans la fonction publique est une première étape qui peut conduire souvent à l’obtention d’un contrat avant une intégration définitive dès qu’il y a recrutement. Les conditions de travail sont difficiles tant dans le secteur privé que dans le secteur public.

 

Adéquation de la formation au marché de l’emploi

De façon générale, l’adéquation des compé-tences apprises lors de la formation des établissements d’enseignement supérieur de l’urbain face à la demande du marché de l’emploi se pose, notamment à la lecture d’une enquête publiée en 2019 qui explique qu’environ 76 % des compétences acquises par les diplômés ivoiriens au cours de leur formation sont inutilisables sur le marché de l’emploi (5). Pour les métiers de l’urbain, les jeunes professionnels interrogés soulignent qu’ils disposent des hard skills nécessaires. Cependant, peu d’intérêt a été accordé au développement des soft skills des étudiants. Ces derniers manquent d’une formation sur les compétences humaines et comportementales qui sont de plus en plus demandées.

Un travail stable et permanent n’est plus l’objectif lors de la recherche d’emploi pour ces jeunes professionnels pour qui la mobilité au travail est devenue la règle. Cette situation s’explique pour diverses raisons liées aussi bien à l’entreprise qu’à l’employé. Ainsi, beaucoup évolue dans plusieurs métiers à la fois à la recherche d’une stabilité socio-professionnelle. Effectivement, ces jeunes changent vite de travail soit pour des raisons matérielles (salaire, promotions) soit pour des raisons psychologiques (épanouissement, envie d’apprendre, envie de connaître d’autres environnements professionnels).

L’insertion professionnelle des jeunes diplômés commence obligatoirement par un stage rémunéré ou non selon le milieu dans lequel ils se retrouvent. Ce stage est rémunéré dans les bureaux d’études et souvent dans le parapublic et non rémunéré dans le public (Ministères et collectivités). Il est considéré comme une période de test pré-emploi constituant le moment au cours duquel le jeune professionnel doit faire ses preuves pour confirmer sa place et prétendre avoir une augmentation pour ce qui est du secteur privé.

Dans le public, ce stage évolue généralement vers un contrat. Autrement dit, le stagiaire devient un agent contractuel jusqu’à être définitivement recruté comme fonctionnaire lors du prochain concours d’intégration. Cependant on note une forte mobilité professionnelle surtout dans les bureaux d’études car les attentes des jeunes diplômés ont évolué. En effet, en plus du critère salarial et des possibilités d’évolution, une importance particulière est accordée au cadre de travail et l’équilibre entre vie professionnelle et person-nelle.

La culture entrepreneuriale, base d’un auto-emploi réussi, est moins développée chez les jeunes professionnels de l’urbain. Cependant, l’auto-emploi par le démarrage d’entreprises figure ces dernières années parmi les rares solutions proposées par de nombreux pays africains en matière d’insertion économique des jeunes. Ainsi, un intérêt particulier est de plus en plus accordé.

Dans ce domaine la relation entre l’âge de l’entreprise et les opportunités est particulièrement forte. Ces jeunes entreprises se retrouvent donc confrontées à des difficultés majeures parmi lesquelles figurent le manque d’expérience, de ressources financières et de confiance en soi. Effectivement, on note une absence d’appels d’offres adaptées aux nouvelles entreprises. Les critères ne sont pas réalistes pour les petites entreprises. Aussi, les coûts de préparation et de soumission des offres sont élevés. Les délais de paiement sont très lents surtout pour les marchés publics ce qui ne permet pas aux petites entreprises d’éviter les difficultés de trésorerie.

 

Renforcer la place des établissements d’enseignement supérieur

De nos investigations, il en ressort que les écoles doivent prolonger leur dispositif d’accompagnement mis en place pour faciliter l’obtention des stages lors du cursus universitaire. Ce suivi étape par étape pourrait se faire durant les 2 premières années après l’obtention du diplôme de Master à l’aide d’un plan d’action qui tient compte du projet professionnel du diplômé et de son environnement social et économique. A l’endroit toujours des structures éducatives, un accent particulier doit être mis dans la promotion de l’entrepreneuriat et le développement de l’intelligence émotionnelle indispensable pour une insertion professionnelle réussie. Aussi, l’établissement des conventions de partenariat entre ces universités et les entreprises est à explorer. Pour ce faire, un benchmark des bonnes pratiques existantes s’avère nécessaire. Pour le cas des jeunes ayant bénéficié d’une bourse de leur État, il conviendrait qu’un accom-pagnement soit mis en place pour faciliter l’obtention de leur premier emploi dans la fonction publique surtout celle territoriale où le besoin de ces types de profils reste criard.

En sommes, il est primordial de réaliser une enquête multi-pays sur les modalités d’insertion professionnelle des jeunes diplômés africains francophones du secteur de l’urbain pour favoriser la mise en application de ces précédentes recommandations.

  

Bibliographie

 (1) L’insertion professionnelle des jeunes urbanistes – 5ème enquête nationale du CNJU

(2) Etude sur l’insertion professionnelle des diplômés dans les pays d’Afrique sub-saharienne – Institut d’Afrique

(3) Partie 3 Quels sont les processus d’insertion des jeunes Africains ? – Les dispositifs d’appui à l’insertion des jeunes sur le marché du travail en Afrique – Agence Française de Développement

(4) Basé sur une série d’entretiens avec une dizaine de jeunes professionnels de l’urbain d’Afrique francophone (Burkina Faso, Bénin, Tchad, Cameroun, Congo, Mali, Centrafrique)

(5) KOUAKOU, K.C. et A.R.V. YAPO (2019), « Mesures et déterminants de l’inadéquation compétences-emploi en Côte d’Ivoire », Papiers de Recherche AFD, n° 117, Novembre