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L’étude menée de 2015 à 2017 par 23 groupes d’experts sur le port de pêche de Nouadhibou visait à en rationaliser l’usage et à mieux réglementer les pêches dans les eaux territoriales et l’industrie afférente sur terre.
Nouadhibou, 140 000 habitants, deuxième ville du pays, a été d’abord un site portuaire puis un centre urbain grâce à ses eaux parmi les plus poissonneuses au monde. Bien avant la colonisation, les Portugais venaient exploiter ses ressources, négligées par les nomades locaux. Avec la fin de la colonisation française, en 1960, ce pays de nomades très peu urbanisé, devait construire sa capitale, Nouakchott (à partir d’un village de 200 habitants) et reprendre en main l’exploitation des ressources halieutiques de la côte.
Sans ressources initiales, les gouvernements successifs ont attribué une longue série de concessions d’exploitation halieutique à des agences internationales des plus diverses : la Corée, la Chine, plusieurs pays européens, tous ont « pignon sur mer » dans ce qui est devenu une gigantesque zone franche de 1 300 km2.
Plusieurs changements récents, à la fois dans la méthode d’exploitation en mer et dans les modes de transformation sur terre, en vue de l’exportation de produits frais ou transformés, caractérisent l’industrie halieutique mondiale.
Concession après concession, exploitant après exploitant, les établissements industriels indépendants sont venus s’installer le long du rivage, privatisant le front de mer, tournant le dos à la ville, qui a grandi exponentiellement sans plan d’ensemble urbain, économique, industriel et encore moins social. Jusqu’à récemment, les exploitants étrangers n’étaient pas tenus de déclarer leurs prises au port, privant les autorités d’une vérification de légalité et de quantité des prises et donc d’un contrôle des stocks. Résultat : surexploitation de la plupart des espèces.
La Banque mondiale, avec onze autres bailleurs, a lancé un projet au nom évocateur : « Élaboration d’une stratégie de développement d’un pôle de compétitivité halieutique à Nouadhibou ». Pourquoi avoir eu recours à l’étrange notion de « compétitivité » dans ce cas, puisque Nouadhibou est le seul port de pêche mauritanien d’échelle industrielle ? Pourquoi ne pas avoir parlé simplement de « rééquilibrage d’exploitation entre un pays et sa ressource, dans le contexte universel des ressources partagées de l’Océan » … ?
Il est vrai qu’avec une telle manne, l’urgence est de consolider l’autorité d’un pays aux prises avec des pratiques illégales, politiquement complexe. Il n’a cependant peu été question de la redistribution des richesses, le client étant l’État mauritanien, le Dakhlet Nouadhibou et l’Autorité de la zone franche.
Le mandat octroyé aux experts remettait donc au second plan la donne sociale. La mission était d’abord axée sur la durabilité des stocks d’un point de vue économique. Les pollutions industrielles et urbaines ou la récupération non contrôlée d’épaves, par exemple dans les eaux peu profondes de la baie du Lévrier, passaient au second plan. Il s’agissait d’abord, avec les moyens les plus simples pour un pays à revenu moyen de 1 723 $ par habitant/an, de s’assurer qu’une des grandes richesses du pays soit reprise en main et son bénéfice rapatrié à domicile tant que faire se peut.
Un nouveau zonage
La façade maritime presque entière est déjà soumise depuis plus de 60 ans aux intérêts industriels privés ou d’intérêt public (militaire). Il restait peu d’opportunités pour contribuer, une fois la ville portuaire reconfigurée dans un meilleur équilibre fonctionnel et industriel, à redonner aux habitants un accès au front de mer. Quelques rares situations se sont dégagées dont un lien privilégié entre le centre « historique » et commercial, avec son marché traditionnel, et le front de mer accessible à un grand nombre de pêcheurs individuels ou associés, pêcheurs de poulpe pour la plupart.
Ainsi, un tracé viaire faisant ce lien vers le port traditionnel a été identifié et préservé dans le nouveau règlement de zonage de la zone portuaire qui découle des recherches et conclusions sur l’optimisation du foncier portuaire. Ce plan de zonage distinguait chaque type d’activité halieutique, traçait un grand axe logistique portuaire parallèle au littoral. Il incluait aussi un nouvel « axe portuaire » liant toutes les usines et autres activités connexes parallèlement au littoral mais en arrière-lot, une nouvelle voie de contournement pour poids lourds, une proposition de réutilisation d’un faisceau ferroviaire pour réduire la dépendance aux camions, la reconfiguration d’un nouveau lien vers l’exportation aéroportuaire frigorifiée, etc.
En « tandem » avec la stratégie halieutique se sont dessinés des objectifs urbanistiques visant à concilier des interdépendances ville-port parfois asymétriques, mais résolues autant que possible dans le cadre des seuls outils d’un plan de zonage dans la réorganisation portuaire. Il va sans dire qu’un plan d’aménagement urbain détaillé, côté ville, bénéficierait grandement aux résidents et travailleurs artisans et saisonniers. Il contribuerait aussi à l’image même de la cité, puisqu’il pourrait reprendre nombre d’ouvertures proposées dans le cadre de la réorganisation de la zone franche industrielle.
La réorganisation à l’aune d’un développement durable
Il suffit de comparer les photos satellitaires pour reconnaître la force transformatrice et la volonté politique d’optimiser l’exploitation de cette ressource et de réorganiser fonctionnellement cette enclave ad hoc. Celle-ci est progressivement devenue performante mais peut être victime d’une fuite en avant. Pour autant d’efficacité commerciale, toujours en cours de parachèvement, de nombreuses questions se posent toujours. Quid des prélèvements sur la manne halieutique ? Quelles sont les projections pour que certains de ces bénéfices financiers retombent sur la ville, l’éducation et la santé ? À plus long terme, verra-t-on l’établissement de fermes halieutiques haut de gamme, puisque le milieu naturel s’y prête, et l’utilisation de ressources énergétiques renouvelables à des fins locales ?
Il serait pertinent de confronter le résultat des opérations actuelles avec les 17 ODD d’ONU-Habitat (2015), et à plus forte raison encore, avec les objectifs spécifiques de l’Agenda 2030 de l’Agence internationale villes ports (AIVP 2018). Ceux-ci reprennent fidèlement ceux de l’ONU mais dans la perspective particulière des villes portuaires. Ni l’un ni l’autre ce ces outils n’existaient encore pleinement à l’époque du mandat…
La composition des groupes d’experts
Les compétences des équipes internationales mandatées couvraient les domaines juridiques, financiers (dont les PPP), fonciers, urbains, géotechniques, géomatiques et SIG, d’ingénierie portuaire, de transport et logistique, environnementaux, sociaux, d’aménagement portuaire, d’énergie, d’eau, d’assainissement, d’halieutique. Dans ce contexte, l’urbaniste travaillait uniquement « sur terre », principalement avec les spécialistes en logistique de transport maritime, terrestre et industriel (aujourd’hui Adameo). Il travaillait aussi avec le juriste sur le sujet des terrains en vue de l’évaluation de leur disponibilité, de l’expropriation, de concessions, etc.
La réorganisation du territoire portuaire entier relevait d’une logistique complexe aux multiples options d’exploitation, toutes étudiées, représentées, discutées… Voici quelques exemples d’enjeux : distribution des matières premières ; types de quais pour décharger telle ou telle espèce de poisson ou de céphalopode ; quais à conteneurs frigorifiés ; cheminement des produits destinés à une transformation sur terre et par quels modes de transport, et quels tracés à même la ville ; encloisonnement des activités portuaires dans une délimitation quasi hermétique laissant au territoire urbain son propre espace de développement ; voie de contournement vers l’hinterland pour exportations dans la région…