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Face à une planète désormais majoritairement urbanisée, les villes secondaires aux contours protéiformes ont été peu prises en considération, ou à la marge, dans les recherches urbaines et dans l’aménagement du territoire, imprégné d’une vision nationale, très francophone.
Les petites villes peuvent être définies par leurs interactions avec le milieu rural ; leurs liens avec la campagne environnante ont été longtemps mis en avant. Les métropoles, voire les mégalopoles aux dimensions exceptionnelles et aux échelles hors-normes, ont vu leur expansion depuis plus d’un demi-siècle marquer les esprits. L’urbanité, définie en tant que combinaison multidimensionnelle de densité et de diversité (J. Lévy et M. Lussault, 2013) ne pouvait qu’en découler. Les villes moyennes et secondaires, par ces qualificatifs mêmes qui leur sont attribués, sont restées longtemps des objets réels non-identifiés (R. Brunet, 1997).
Dans les pays du Sud en particulier, ces échelons vus comme inférieurs et au bas des armatures urbaines pyramidales, ont été regroupés dans le qualificatif de « moyen », i.e. d’intérêt secondaire, entre local et global. L’extrême hétérogénéité de leur contexte a ainsi conduit tant les acteurs publics que la recherche à envisager ces villes comme un tout aux contours flous.
En définitive, les problématiques urbaines qu’elles rencontraient étaient considérées comme de moins grande ampleur. Le manque de données les concernant, encore plus dans des contextes informels, ne les conduisaient pas à être en première ligne des politiques. Leurs particularismes étaient ainsi jugés trop peu significatifs aux échelles nationales comme internationales pour pouvoir former un tout. L’impératif se situait dans des établissements humains de taille beaucoup plus importante, offrant un nombre potentiel de bénéficiaires plus conséquent, pouvant répondre à des objectifs politiques marqués par le court, au mieux le moyen terme.
Le rôle des villes moyennes révélé
Or, durant les décennies de croissance urbaine, les scientifiques ont peu à peu mis à jour le rôle majeur de ces villes moyennes et secondaires, d’abord comme sas d’absorption d’un certain exode rural puis comme moyen de désengorger les métropoles devenues progressivement des mégalopoles.
En mettant en avant le caractère particulier de chaque ville, perçue avant tout comme ordinaire par les géographes anglophones (J. Robinson, 2006), ces villes, à côté des global cities sont maintenues créditées d’un rôle déterminant dans la globalisation, devenant ces espaces de mondialisation discrète pour les géographes francophones (A. Choplin et O. Pliez, 2018).
De leur côté, les sociologues ont porté leur attention sur les fonctions de ces villes et les ont ainsi nommées par leur rôle d’intermédiation (J.C. Bolay et A. Rabinovich, 2004 ; J. Llop, 2005 ; J.C. Bolay et A.L. Kern, 2019). L’approche anthropologique a montré comment ces villes pouvaient être des lieux de création, d’inspiration, de valorisation des particularismes à l’instar du concept d’urbanité partagée (M. Hilgers, 2009).
Ces dernières années, la recherche a ainsi participé à la prise en considération de ces villes par les bailleurs de fonds bilatéraux comme multilatéraux : tant Onu Habitat que la Banque Mondiale ont peu à peu élaboré des programmes focalisés sur les villes moyennes ou secondaires à l’échelle d’un pays, d’une région voire d’une sous-région.
Cet intérêt soudain a remplacé, du moins complété, l’accent mis pendant des décennies sur la décentralisation dans les pays en développement.
Une problématique Nord/Sud
Comme avec les plans d’ajustements structurels des années 80, les critères de bonne gouvernance des années 90, les concepts d’États fragiles des années 2000, les politiques publiques internationales s’inspirent des recherches menées dans les pays du Nord. Elles s’appuient sur ces programmes pour mettre en place des normes et des conditionnalités leur permettant de mener des politiques de développement.
Une fois ces politiques appliquées, les scientifiques se sont contentés de mesurer leur impact et les difficultés à atteindre les objectifs initiaux, sans pouvoir remettre en cause les fondamentaux que leurs travaux avaient contribué à mettre en œuvre.
Nous sommes à nouveau aujourd’hui à un tournant épistémologique où les études scientifiques peuvent nourrir de nouvelles politiques à l’échelle des pays en développement et émergents. Mais, cette fois, les études sur les villes secondaires ont été initiées dans le cadre du tournant post colonial. L’accent y est mis sur les particularités de chaque ville, son histoire, son ancrage territorial, son développement, son mode de peuplement, ses habitants.
Mahajanga à Madagascar n’est pas seulement une ville moyenne mais un port de pêche au rôle prépondérant sur la côte ouest malgache. Luang Prabang au Laos, l’ancienne capitale royale, fait face à des problématiques propres liées au développement du tourisme de masse. Au sein d’un même pays, Haïti, des villes distantes de quelques kilomètres comme Grand-Goâve et Petit-Goâve ou encore Léogâne ne sont pas seulement des villes moyennes indistinctes. Elles ont chacune des trajectoires historiques différentes, influant leur positionnement sur la scène urbaine nationale qui va modifier la perception tant des habitants que des autorités sur leur rôle, leur développement mais aussi la nature et la configuration de leurs infrastructures.
Des politiques respectueuses de tous les échelons territoriaux
De la même façon que dans les pays du Nord, il semble maintenant impossible d’appliquer la même recette pour toute ville dite moyenne, a fortiori au niveau d’une région voire d’un pays ou à l’échelle d’un continent. L’accent mis sur la planification, déjà difficile dans les pays du Nord, est encore plus questionnable dans les pays du Sud dans des contextes de forte informalité, où trop peu de données sont récoltées, disponibles et analysées.
Pour concevoir leurs programmes urbains, les responsables politiques ne doivent pas s’en tenir aux conclusions des recherches passées mais continuer de s’inspirer des travaux en cours. Il s’agit d’éviter une normativité appliquée à l’échelle d’un ou de plusieurs pays sous prétexte qu’ils sont dans la même zone géographique. Les infrastructures liées aux services de base et les réseaux doivent rester de la responsabilité des États. Même faibles en termes de ressources humaines et financières, ils doivent continuer à être les garants de la cohérence d’un territoire et de l’unité d’un peuple. Les villes, collectivités de premier plan, ne doivent pas être traitées comme un maillon parmi d’autres mais comme une échelle prioritaire au-delà de l’État. C’est à cette échelle communale que peuvent se regrouper les politiques de la ville de l’ensemble des bailleurs afin de dépasser la logique de « projectorat » comme on l’observe au sein des très grandes villes avec un fractionnement à l’échelle du quartier.
Les villes secondaires, un nouveau modèle de développement
Au-delà du discours performatif, loin de la course à la métropolisation, les villes moyennes et secondaires, localisées dans des sites pertinents pour l’implantation d’établissements humains, peuvent être la source d’un développement alternatif comme c’est le cas aujourd’hui au sein de l’Union européenne (D. Delville, 2020). Les perspectives nombreuses sont réjouissantes mais appellent un changement de paradigme. Une vision de ces villes comme lieux d’interactions émergeant de pratiques culturelles propres à chaque territoire, telle que conceptualisée par A. Simone, et des défis économiques et sociaux auxquels ces territoires sont confrontés doit s’imposer.
La nécessaire contextualisation des villes moyennes, simplifiée par leur taille, est essentielle afin de ne pas seulement aligner des solutions qui ont été testées ailleurs mais de pouvoir inscrire la ville dans son territoire. Dans cette démarche, il s’agit d’utiliser l’informalité comme un levier puissant de ressources. Il faut recenser les pratiques pour s’en inspirer et les renforcer, participant ainsi à la déconstruction du concept prégnant depuis la colonisation du one size fits all.