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Pendant de nombreuses années, les institutions internationales ont considéré les métropoles comme les principaux moteurs de la prospérité et de la richesse des nations. Elles ont privilégié le rôle de ces environnements urbains denses dans le développement social, économique et environnemental, dans la lutte contre la pauvreté, en insistant sur leur attractivité pour les investisseurs. Ainsi, des institutions comme l’OCDE se sont fortement engagées dans le conseil aux États sur la façon de gérer la complexité de ces villes, en étudiant leur impact sur les économies nationales et le potentiel qu’elles représentaient. Ces villes capitales ont longtemps été vues comme le principal moteur de transformation et de changement à l’échelle des pays.
Depuis une quinzaine d’années, néanmoins, plusieurs travaux scientifiques, en particulier ceux de la « Chaire des villes intermédiaires et urbanisation mondiale » de l’Unesco, s’attachent à identifier les réalités d’autres segments urbains. Ils tentent notamment de faire valoir les flux humains, économiques et sociaux propres aux villes de taille moyenne et petite.
Les villes intermédiaires, essai de définition
Cinq caractéristiques principales des villes intermédiaires ont ainsi été mises en lumière par les scientifiques :
- la population des villes de taille moyenne (entre 50 000 et 1 million d’habitants) est passée d’un tiers de la population mondiale à près de la moitié de la population mondiale ;
- l’échelle de ces entités urbaines permet de vivre et de partager une proximité qui se traduit par un autre type d’interaction entre les citoyens et avec les autorités, et par une spécificité du mode de vie dans ces villes ;
- les liens rural / urbain, plus qu’une simple caractéristique, sont un trait distinctif ; le monde rural est profondément imbriqué dans la vie quotidienne de la ville, générant un impact analogue sur les territoires et les villes de taille moyenne environnants ;
- le nombre de villes de taille moyenne constitue une masse critique au niveau national, ainsi qu’au niveau mondial, ce qui fait de ces villes un potentiel clé dans la vie urbaine des pays et de la planète ;
- ces villes sont également une étape intermédiaire qui permet aux citoyens de s’adapter et d’adopter des valeurs urbaines démocratiques, en particulier dans les pays en développement et les pays du Sud.
En raison des flux et des interactions identifiés entre ces villes et leur environnement, il est ainsi apparu que les villes de taille moyenne jouaient un rôle d’intermédiation essentiel dans le développement des territoires, d’où l’expression « villes intermédiaires ».
Dans la suite de ces travaux de recherche, et du développement réalisé par CGLU, la problématique des villes intermédiaires a été pleinement intégrée à la Conférence mondiale Habitat III des Nations unies et au Nouvel agenda urbain. L’Agenda 2030 des Nations unies a également été une pierre angulaire de la reconnaissance du rôle des villes intermédiaires dans le développement durable de la planète.
S’engager pour les villes intermédiaires dans le monde
Le premier Forum mondial des villes intermédiaires s’est tenu à Chefchaouen, au Maroc, en juillet 2018. Fruit d’un processus mondial préalable de consultation, il a rassemblé des gouvernements locaux de villes intermédiaires, des experts et des organisations nationales et internationales. Les enjeux et actions à engager pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 et des autres agendas mondiaux y ont été débattus. Les défis auxquels font face les villes intermédiaires lors de l’implémentation de ces agendas, et les solutions précises à mettre en œuvre, étaient au cœur des discussions.
L’objectif du Forum était d’amener les institutions internationales, les gouvernements locaux et nationaux ainsi que les partenaires de CGLU, à s’engager et négocier des recommandations spécifiques, issues de la consultation mondiale. Le Forum a notamment débouché sur :
- une déclaration-charte énonçant des principes et des engagements des gouvernements locaux et un éventail d’actions visant à faciliter la mise en œuvre des Agendas mondiaux dans les villes intermédiaires ;
- un mémorandum d’entente, signé entre CGLU, ONU-Habitat et le Maroc, pour développer une « stratégie nationale des villes intermédiaires pour la mise en œuvre de l’Agenda 2030 », en accord avec la mise en œuvre du Nouvel agenda urbain.
Ce mémorandum d’entente est actuellement en cours de développement. Il concrétise une stratégie multilatérale mondiale unique et l’opérationnalisation de la mise en œuvre de l’Agenda 2030 à travers une gouvernance multi-niveaux coordonnée, aux échelons international, national, régional et local.
Un continuum de systèmes de vie
D’un point de vue conceptuel, deux éléments méritent d’être mentionnés :
- la définition de la notion de « ville intermédiaire » : les villes intermédiaires ne peuvent être définies par leur nombre d’habitants, dans le sens où une telle définition est liée à l’échelle de la structure urbaine et à sa normativité sur la segmentation urbaine propres à chaque pays. La définition doit plutôt renvoyer au potentiel de développement de la ville, en tant que vecteur d’intermédiation pour le développement durable et la résilience.
- la notion de « système de vie » : ce concept englobe la vie sur le territoire et ses composantes urbaines. Il inclut la vie naturelle, la vie animale, l’agriculture, les systèmes alimentaires qui se développent dans l’espace public et rural sur un même continuum, la mixité des deux, ainsi que la qualité de l’air, le climat et l’environnement.
La charte et ces deux concepts ont fourni le cadre et l’impulsion du travail engagé depuis lors au sein de CGLU en appui aux villes intermédiaires.
Le deuxième Forum mondial devait se tenir fin 2020. Il a été reporté en raison de la crise du Covid-19. Dans ce contexte, la présidence du Forum, la ville de Chefchaouen, a décidé d’engager une nouvelle consultation mettant au cœur de ses préoccupations la relance verte et le rôle que devront jouer les villes intermédiaires dans la résilience globale – économique, sociale, environnementale, culturelle, humaine et sanitaire. Des critères essentiels pour la résilience des territoires au lendemain de la pandémie.
Le Covid-19, révélateur urbain
Pendant le confinement, la résilience des villes intermédiaires a été fortement mise au défi : les petites entreprises, les marchés de proximité, la production et la consommation locales ont été paralysés. Mais la vie ne s’est bien entendu pas arrêtée. La production a continué, obligeant à la mise en place de marchés de quartier et de circuits courts de nourriture, permettant la survie des « systèmes de vie ». Les systèmes traditionnels de solidarité des villes intermédiaires, des circuits courts, de l’économie circulaire et des chaînes d’approvisionnement, basés sur la proximité, se sont renforcés pour faire en sorte qu’une alimentation de qualité reste toujours possible.
C’est un fait que pendant le confinement, l’attractivité des villes a augmenté de manière significative. Une migration provisoire a été observée des grandes villes vers les villes intermédiaires : les citoyens ont recherché la qualité de l’air, la qualité des aliments et la nature, ainsi qu’un milieu urbain moins dense. Si la « capture de valeur » que ces villes représentaient était déjà reconnue, elle a notablement augmenté dans ce contexte difficile.
Le monde connaît différentes urgences outre la pandémie. L’urgence climatique et environnementale est également un défi auquel les villes intermédiaires peuvent apporter une partie de la solution, pour autant que des décisions cruciales soient prises aujourd’hui. Les solutions sont dans la prise en compte holistique des systèmes de vie et le renforcement de leur résilience.
Des pôles d’intermédiation
Les villes intermédiaires doivent être considérées comme des pôles d’intermédiation pour le développement et comme partie intégrante dans les stratégies et les équilibres des territoires. Elles doivent être pleinement partie prenante du développement, dans le respect de la qualité de vie des habitants, de leurs valeurs et de leur vie sur une planète saine. Elles ont le potentiel d’assurer les conditions du bien-être social et de fournir un cadre pour combattre la pauvreté et les inégalités que la pandémie a contribué à renforcer. Elles peuvent et doivent être les vecteurs de la justice territoriale en donnant des chances égales à toutes et tous d’accès à l’alimentation. Il faut donner des moyens et des ressources pour la gouvernance des territoires.
Les « villes intermédiaires » ne sont pas des « villes secondaires ». Elles sont les moteurs des transformations profondes de nos sociétés et du changement de paradigme qui s’imposent aujourd’hui au monde pour protéger les ressources de la planète dans le souci majeur des générations futures.