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La capitale du Maroc, Rabat, est une ville de plateau côtier, en promontoire sur l’Atlantique et sur la vallée du Bouregreg qui la sépare de sa ville jumelle, Salé. Cette situation géographique particulièrement favorable du point de vue défensif comme du point de vue des ressources, est à l’origine de la première occupation phénicienne du territoire, il y a quelque 3000 ans.
Les époques qui ont suivi ont vu une urbanisation progressive et parfois rivale entre les deux villes de plateau, le fleuve symbolisant depuis plusieurs générations la rupture entre les deux cités. Ce développement est resté à respectueuse distance de la vaste vallée à fond plat et des crues du Bouregreg, de ses zones humides fourmillant de faune et de ses riches espaces agricoles engraissés par les alluvions saisonnières.
Fragilisation de l’agriculture et pression urbaine
Depuis 1974, le grand barrage Sidi Mohamed Ben Abdella, implanté à 17 km de l’embouchure du Bouregreg, alimente la capitale en eau potable. Il crée ainsi une vaste entité paysagère de vallée côtière de 6000 ha, aux eaux désormais régulées et limitées.
Mais l’agriculture y est en difficulté du fait de la salinisation des eaux remontant de l’océan et de la faiblesse des phénomènes alluviaux. En parallèle, la pression urbaine contemporaine non régulée a produit son lot de décharges, de quartiers spontanés et insalubres. Et diverses installations artisanales ou industrielles ont partiellement occupé la vallée.
Un nouveau plan d’urbanisme ambitieux
À la suite de réflexions engagées depuis plus de 20 ans, plusieurs plans d’affectation se sont succédé jusqu’au plan d’aménagement spécial (PAS), un plan d’urbanisme ambitieux conçu par l’agence internationale d’architecture et d’urbanisme Reichen et Robert. Essentiellement concentré sur l‘urbanisation, le PAS est en cours de mise en œuvre par l’AAVB, l’agence d’aménagement de la vallée du Bouregreg. Dans la logique de ce plan, la vallée est devenue le terrain de restructurations urbaines lourdes. Deux nouvelles infrastructures traversantes sont installées, dont le tramway qui dessert les deux villes et deux rocades urbaines au cœur de la plaine. La partie la plus urbaine de la vallée est transformée en quartier luxueux avec un programme d’équipements et de commerces à rayonnement métropolitain et international (marina, grand théâtre, tour de 250 m de hauteur). Ces premières tranches d’aménagement sont finies ou en cours d’achèvement.
Des conséquences fâcheuses
Or le PAS présente de réelles limites: il prévoit une très forte urbanisation avec la construction de plusieurs milliers de logements dans le fond de vallée. Ce programme nécessiterait un travail d’ingénierie hydrologique complexe et coûteux pour sécuriser les bâtiments. Il créerait à terme une « ville nouvelle », déconnectée des zones urbaines la surplombant. La conséquence en serait une perte du milieu naturel et de biodiversité et une dégradation des sols et des terres cultivées, déjà mis à mal par le barrage.
Ailleurs dans le monde, ces milieux précieux et rares en zone urbaine suscitent les projets les plus innovants pour tenter de les reconstituer. La valeur exceptionnelle de ce patrimoine naturel a d’ailleurs attiré l’attention de l’Unesco. La partie aval de la vallée, depuis le site archéologique du Chellah jusqu’à l’embouchure, entre dans le périmètre d’inscription de « Rabat, capitale moderne et ville historique, un patrimoine en partage » sur la liste du patrimoine mondial en 2012.
Une prometteuse démarche paysagère
La vallée a aussi fait l’objet d’une mission menée par l’INTA (international urban development association) en 2016-2017, sous l’égide de l’AFD (agence française de développement), afin de préciser les contours programmatiques et financiers du projet. La mission a mis l’accent sur la dimension paysagère et environnementale cruciale de la vallée et les limites économiques du modèle urbain. À la suite de cette mission, et avec l’aide de paysagistes et de scientifiques locaux, une prise de conscience de l’AAVB a permis de mettre en pause le PAS.
Puis l’agence a initié une « démarche paysagère » comme nouveau moteur de la réflexion sur l’avenir de la vallée. L’agence de paysage JNC International a été chargée de proposer une vision ; ce qui a donné lieu à un plan d’orientation paysager (POP). Il n’est pas encore approuvé, mais il destine la vallée à devenir un immense parc métropolitain, doté de fonctions environnementales, de loisirs et agricoles qui assurera le lien entre les deux rives.
Il s’agit de valoriser la présence de l’eau et du végétal à travers divers programmes: sports et loisirs, culture, patrimoine, pédagogie, paysage productif, réserves naturelles tout en reliant les deux versants, et en se limitant à une légère urbanisation des coteaux. Deux projets ont ainsi été initiés par l’AAVB: une école de jardinage, achevée, et une ferme agro-écologique. Celle-ci, en cours d’étude par l’agence locale MBpaysage, constitue un projet pilote au Maroc qui allie agriculture raisonnée et activités de loisirs pour les habitants des deux cités.
Reste à vivement souhaiter que la capitale marocaine choisisse la voie du paysage. Ce choix en ferait sans aucun doute la première capitale dense de pays émergent à proposer un tel modèle d’aménagement, à la fois qualitatif, ambitieux et vertueux.