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Comment aménager durablement en faveur des habitants dans une métropole au développement exponentiel et aux maigres ressources ? Intervenant à Ouagadougou, Sylvain Saudo, ingénieur urbaniste, démontre, au cours d’un atelier international d’urbanisme, la force de la mobilisation collective des habitants et de leur ingéniosité pour réussir un projet d’équipement.
Comme beaucoup d’autres villes d’Afrique subsaharienne de même statut, Ouagadougou connaît une croissance urbaine soutenue, induisant un étalement rapide de son espace urbain. Face à cet accroissement démographique et spatial rapide, l’administration publique peine à apporter les équipements et services publics de base dans bon nombre de secteurs. Ces territoires sont par ailleurs souvent ceux qui abritent les populations les plus précaires. Certes, le rythme soutenu de cet accroissement met l’action publique dans une difficile logique de rattrapage plutôt que d’anticipation. Mais deux raisons plus structurelles nous apparaissent être en cause dans cette incapacité à déployer une offre de services locaux.
La première difficulté renvoie à une articulation encore bien peu fluide entre les nombreux décideurs et acteurs de l’action publique locale. Au niveau macro, le processus de décentralisation reste relativement lent et inégal. L’État peine à partager ses responsabilités et fait montre d’une diligence inégale dans l’organisation de la déconcentration des services de ses ministères. Adopté en 2004, le Code général des collectivités territoriales ne précise donc que depuis peu les compétences dévolues aux communes urbaines.
Logiques croisées, budgets limités
Au niveau local, la gouvernance communale et infra-communale des quartiers, notamment dans les secteurs « non-lotis », fait coexister des logiques institutionnelles (élus centraux et élus d’arrondissement) et des logiques traditionnelles locales (chefferies, droit coutumier). Dans ce contexte, la logique de projet – d’un développement local intégré – reste ardue.
La seconde difficulté se pose au plan budgétaire. Les ressources financières de la capitale, assises sur une maigre dotation étatique et une assiette fiscale obsolète, sont nettement insuffisantes pour qu’elle puisse assumer l’ensemble des compétences qui lui sont dévolues. À titre d’exemple, le budget municipal annuel de Ouagadougou est inférieur au seul budget de gestion des ordures ménagères de Lyon. Alors que cette faible enveloppe est quasi intégralement consacrée au fonctionnement de la collectivité, celle-ci voit sa capacité d’investissement reposer essentiellement sur l’aide au développement.
À l’occasion de l’Atelier international d’urbanisme organisé par l’association « Les Ateliers de maitrise d’oeuvre urbaine de Cergy » qui s’est tenu en mars 2019, plusieurs pistes de travail ont pu être proposées par les équipes en regard de la problématique ici posée.
L’ingéniosité des Ouagalais, un atout
Une des perspectives consiste vraisemblablement à prendre appui sur la formidable ingéniosité populaire ouagalaise comme cheville ouvrière de l’action publique locale. Les compétences de ces citadins qui ont appris à habiter en maniant l’art du recyclage, de la transformation des matériaux, de la débrouille frugale, est un atout incontestable. S’auto-organiser pour transformer une place publique tantôt en terrain de foot, tantôt en terrasse de café ; transformer une rue ici en atelier, ici en salle de mariage, en lieu de culte ou encore en scène de spectacle, attestent le savoir-faire des Ouagalais. Dans certains quartiers, l’économie informelle répond déjà à la plupart des services que les pouvoirs publics ne parviennent pas à organiser (banque, éducation, adduction d’eau, ramassage des ordures ménagères, etc.). Le développement de la capitale burkinabé semble bien ne pas pouvoir se faire sans cette énergie. Il convient toutefois de prévenir les dérives de ces pratiques : privatisation, marchandisation, accaparement. C’est ici que la notion de commun prend son sens.
Si le développement urbain doit rester guidé par un schéma directeur, les partenariats public/privé/population (PPPP) d’un nouveau genre (voir infra) sont sans doute à convoquer comme possibles leviers opérationnels. Pour l’illustrer, nous proposons ici d’évoquer l’exemple de la « pépinière urbaine ». Ce projet, soutenu par l’Agence française de développement (AFD) est piloté par l’Agence municipale des grands travaux de Ouagadougou (AMGT) et il est mis en oeuvre par le GRET. On peut dire qu’il est assez emblématique de ce processus de PPPP comme fabrique de communs.
Concevoir et gérer avec les habitants
Le projet en question s’inscrit dans une démarche d’urbanisme transitoire initiée en 2018. Il vise à accompagner la réalisation de plusieurs équipements sportifs et culturels. L’un d’entre eux est situé le long du canal de Dassasgho, un quartier du grand-est ouagalais. Durant deux années d’expérimentations participatives, riverains et société civile ont été associés pour définir les attendus au regard de l’équipement, au titre d’une programmation partagée. Mais ils ont aussi participé à la préfiguration des modalités de gestion partagée. Fin 2021, le projet définitif était en phase d’élaboration de l’APS (avant-projet sommaire).
Au-delà de l’étape de conception qui s’est donc faite dans une logique collaborative, les habitants et futurs usagers ont vocation à être associés à la bonne gestion dans le temps des aménagements réalisés. En effet, au regard des éléments de contexte économique évoqués plus haut, il semble souhaitable de ne pas s’enfermer dans un schéma où l’acteur public investit dans un équipement dont il sera en peine d’assurer la gestion et la pérennité.
L’importance d’une structure de gestion
Sur le modèle de l’auto-organisation dont les Ouagalais savent faire montre, il apparait ainsi intéressant que l’équipement sportif et culturel créé soit adossé à une structure locale de gestion. La constitution d’une telle structure de droit « privé » sera la garante du commun et l’organisatrice d’une réciprocité de droits et de devoirs des utilisateurs de l’équipement créé. Elle se doit bien sûr d’être à but non lucratif (ex : association loi 1901) ou à lucrativité limitée (ex : société coopérative). Il convient par ailleurs que l’acteur public ne se retire pas totalement (exemple de la coopérative d’intérêt collectif dans laquelle l’acteur public reste sociétaire) pour que l’on reste bien dans la logique d’un PPPP. L’objectif est que la population gère le commun, à savoir ici l’équipement, sous l’égide d’une instance de droit privé et sous la bienveillance régulatrice et la garantie de l’intérêt général qui reste l’apanage de l’acteur public.
En d’autres termes, il apparait ainsi pertinent de travailler à l’installation de communs sis sur le triptyque qui les définit : un bien (équipement), un corpus de règles de bonne gestion (droits et devoirs) et une communauté d’utilisateurs/ acteurs avec une représentation communale garante de l’intérêt général.