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Le début des années 1990 est marqué par la redécouverte de la participation dans les projets urbains menés dans les villes des pays du Sud, un thème long-temps porté par les ONG de développement actives en milieu rural (voir l’article que les socio-anthropologues Philippe Lavigne Delville et Jean-Pierre Chauveau consacrent à la question2).
Depuis, on ne compte plus les projets faisant de la participation des populations la clé de voûte du développement urbain et des rendez-vous internationaux sur ce thème, notamment les conférences Habitat. Loin de n’être qu’un effet rhétorique, cette insistance sur la place des habitants dans les pro-jets urbains s’est traduite par de véritables tournants dans les politiques de la ville, notamment dans les quartiers les plus précaires. Comme l’ont montré de nombreuses enquêtes de terrain3, la restructuration in situ s’impose désormais, quand bien même déplacements forcés et déguerpissement sont maintenus.
Mais faire des projets en tenant compte des habitants « déjà là » ne signifie pas nécessairement que les principaux concernés aient leur mot à dire sur la conduite des opérations et la transformation de leur quartier. La participation peut ainsi souvent être réduite à sa dimension financière, les pauvres met-tant fréquemment la main à la poche pour leurs infrastructures. Et le mot d’ordre de politiques urbaines inclusives, fortement affiché notamment à Habitat III, ne donne pas de garanties sur une réelle association des habitants aux projets (voir l’article publié avec Valérie Clerc4).
Les limites de la participation des habitants
Les dispositifs de participation mis en place ont souvent échoué à transformer les rap-ports de force préexistants au sein de la ville ou ont sacrifié in fine les efforts fournis par les participants sur l’autel de la réalisation d’objectifs prédéfinis. Ces dispositifs ont en outre étaient parfois instrumentalisés par des pouvoirs autoritaires pour maintenir leur emprise sur les « gouvernés ».
Mais, de la place Tahrir au Caire au parc Gezi à Istanbul, le retour des peuples sur le devant de la scène urbaine a libéré la parole et mis en lumière des aspirations débordant largement le cadre des « besoins » définis par les documents de projets. Les revendications tant au « droit à la ville » qu’au droit à rester, à ne pas être évincé, est à la confluence de plusieurs changements de fond.
Des professionnels alternatifs qui renouvellent l’advocacy planning des années 1970 s’affirment et l’intervention des institutions internationales marque l’appui de celles-ci aux mouvements revendicatifs des habitants. Lorsque ces actions s’inscrivent dans la continuité des revendications sur les droits humains avec les campagnes d’Amnesty international (par exemple en Égypte) ou que les Nations Unies dépêchent un rapporteur spécial sur le logement convenable, les groupes d’habitants les plus actifs font alors entendre leurs voix. La demande d’inclusion y prend un autre sens que le politiquement correct habituel visant à saupoudrer du social sans se soucier des effets profonds des politiques urbaines.
Il arrive en effet que des déplacements forcés engendrés par des campagnes de démolition soient considérés comme des gages d’inclusion alors que les habitants de par le monde ont toujours témoigné de leur opposition au relogement contraint ex situ.
Reconnaître les voix dissonantes
En réalité, la véritable participation passe par la reconnaissance de contre-pouvoirs ou à tout le moins de voix dissonantes, que cela aboutisse ou non à une démocratie locale par le consensus. L’identification des relations existantes entre les usagers et habitants de la ville et les institutions, elles aussi diverses, apparaissent comme des manières efficaces de saisir les configurations productrices de la ville au quotidien. L’objectif est de mieux agir en leur sein, voire d’agir sur ces dernières.
C’est ce que tentent de faire des réseaux internationaux comme Slum Dwellers International, l’Asian Coalition for Housing Rights (ACHR). Présents dans de nombreux pays à travers le monde et regroupant plu-sieurs centaines de milliers d’habitants, ces réseaux sont relayés par des lieux de diffusion internationale telles que Habitat inter-national coalition ou la Plateforme globale pour le droit à la ville. Dans les pays où ils sont implantés, ils construisent des collectifs d’habitants susceptibles d’agir à différents niveaux sur les politiques urbaines. Ils contribuent à la création de relations pérennes avec les institutions capables de les aider dans leurs démarches, collectivités locales, associations ou universités (voir le témoignage de Gugun Muhammad page 4 ).
Cette approche par la construction de réseaux entre habitants, société civile, professionnels de l’urbain et universités est aussi une préoccupation émergente de la recherche francophone. Le Lavue, unité mixte de recherches du CNRS, s’est vu récemment attribuer un financement de l’Agence nationale de la recherche en vue de préparer un projet Horizon 2020, le projet Fairville, portant sur les pratiques collaboratives et leur impulsion dans ce genre de coalitions.
Partir des relations existantes pour mieux renforcer certaines dynamiques, engager des transformations ou simplement positionner son action, nous apparaît être le défi à venir pour des projets urbains dépassant la rhétorique de la participation pour l’appliquer en pratique. Faire la ville par le bas impose ainsi de faire avec l’existant, sans pour autant s’y conformer, ni renoncer à le transformer.
1 – Unité mixte de recherche 7218 du CNRS
2 – Chauveau J.-P., Lavigne Delville P., 2013, Développement participatif, Dictionnaire critique interdisciplinaire de la Participation. http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-10/010071192.pdf
3 – Deboulet A., 2016. Repenser les quartiers précaires, Agence française de développement, Paris
4 – Clerc V., Deboulet A., 2018. Quel Nouvel Agenda urbain pour les quartiers précaires ? La fabrique des accords internationaux sur l’urbanisation pour la conférence Habitat III, Métropoles. http://journals.openedition.org/metropoles/