Portrait de Jean-Louis Vénard :
un grand professionnel par petites touches
Avec les apports d’Antoine Olavarrieta, Michel Arnaud, Xavier Crépin
Une carrière bien remplie
Ingénieur civil des Ponts et Chaussées, Architecte DPLG et Urbaniste DIUUP, Jean-Louis Vénard a commencé sa carrière africaine au milieu des années 60 à Abidjan (au titre du service national actif, selon nos sources) où il a participé avec la Société Economie et Mathématique Appliquée (SEMA) à l’élaboration des hypothèses de croissance de la population d’Abidjan et à l’étude de la potentialité de son site. Le rapport présentait plusieurs schémas d’aménagement pour une ville d’alors 200 000 habitants qui pourrait en atteindre 3 millions en 20001.
A la suite de ce travail, en septembre 1968, JLV publiait, dans la revue Industries et Travaux d’Outre-Mer, un intéressant article consacré au « développement d’Abidjan dans le cadre de la Côte d’Ivoire ». Ces études démographiques, économiques, sociales et urbanistiques servirent de base au Bureau National d’Etudes Techniques et de Développement, pour Agence d’Urbanisme de la Région d’Abidjan (BNETD-AURA) pour élaborer en 1969 le plan directeur d’urbanisme de la capitale de la Côte d’Ivoire.
Rentré à Paris, JLV intègre l’Atelier de Recherche et d’Études d’Aménagement (AREA) auprès d’Alain Sarfati.
Fin 1976, dix ans après, de retour en Côte d’Ivoire, la SCET Coopération fait appel à lui pour être le Directeur de projet de « l’Étude des Perspectives Décennales de Développement d’Abidjan » financée par la Banque mondiale. Avec sa rigueur intellectuelle et sa capacité de travail incroyable, il n’a jamais accepté que le consultant soit réduit à être le porteur d’une approche du développement qu’il récusait. Il l’a notamment montré dans cette étude, véritable plaidoyer pour une politique urbaine positive, ouverte et prospective. Achevée début 1979, l’étude livrait d’importantes statistiques et informations sur la population, l’habitat, les infrastructures, l’environnement, les mécanismes du développement urbain, le financement de l’aménagement,…
Il en est ressorti un schéma d’aménagement général du site d’Abidjan, sur lequel apparaissait, d’une part, une planification physique à 10 ans, appuyée sur une planification budgétaire réaliste des investissements de l’Etat et, d’autre part, des perspectives d’aménagement à long terme. Ce schéma a servi de base, notamment pour les extensions portuaires et le tracé des infrastructures de transport, à tous les plans directeurs d’urbanisme qui ont été produits jusqu’à aujourd’hui.
Antoine Olavarietta était à ce moment-là coordonnateur du projet pour le compte de l’Etat, assisté par Jean-Paul Alduy, consultant choisi par la Banque mondiale. JLV avait réuni autour de lui une équipe de choc, composée d’experts permanents, parmi lesquels François Amyot, Olivier Leblanc, Jean-Claude Boncorps, Michel Testard et de consultants réputés tels que Michel Arnaud, Jean-Marie Cour, Jacques Carol… Quelle équipe !
En 1979, il retourne à AREA. Puis, début d’une carrière de consultant international avec de nombreuses missions d’expert pour le compte de la Banque mondiale, du Ministère de la Coopération, du Ministère de l’Equipement, de la Caisses des Dépôts et Consignations, du GIE Villes Nouvelles, du BCEOM…
Pendant cette période, la Direction des Affaires Européennes et Internationales du Ministère de l’Equipement lui commande une recherche sur « 25 ans d’intervention française dans le secteur urbain en Afrique noire francophone ». Elle sera publiée chez Economica en 1986. Loin de se contenter d’y faire un inventaire et/ou un bilan des actions et des projets, JLV traite largement – en se basant sur 19 pays étudiés – de l’évolution des systèmes urbains en Afrique et des relations franco-africaines dans le champ urbain. Il y met en évidence, sans indulgence, les contradictions de la politique française et de ses organes d’intervention sur ce thème.
Après avoir avec Michel Arnaud et François Verges été l’un des rédacteurs du document “coopération urbaine de la France”, il bénéficie en 1990-91 d’un contrat permanent de consultant pour assurer des missions d’identification, de pilotage et d’évaluation de projets de développement urbain en Afrique francophone cofinancés par la Caisse centrale de coopération économique (CCCE) et ministère de la coopération.
En 1992, la Caisse française de développement qui deviendra l’AFD) succède à la Caisse centrale de coopération économique et monte sa première équipe urbaine. “Naturellement” après Robert de La Rochefoucauld (arrivé dès 1989) et avant Xavier Hoang en 1994, Jean-Louis Vénard intègre la CFD. Il y est recruté en qualité d’expert urbain au département Etudes puis au Département infrastructures hydrauliques. Il produira des papiers de réflexion sur le développement urbain et participera à de nombreuses missions sur le(s) terrain(s) jusqu’à son départ à la retraite.
Un personnage et un professionnel engagé !
Doté d’une grande intelligence, d’une forte puissance de travail et d’un souci de précision qu’il mettait au service de sa réflexion et de sa curiosité, méticuleux, déterminé et perfectionniste, il aimait aller au fond des choses et ne lâchait jamais le morceau. Ce n’était pas un homme à suivre des doctrines ou à appliquer des dogmes (que ce soient ceux de la Banque mondiale ou même ceux de l’AFD). Son honnêteté intellectuelle lui faisait adopter une démarche indépendante et scientifique : bien poser la problématique, bien l’exprimer, bien l’étudier, en tirer des conclusions et proposer des façons de les traiter.
C’était un professionnel aguerri, mais avant tout, c’était un homme de convictions, capable de les défendre avec vigueur et véhémence jusqu’à s’emporter dans des colères homériques. Mais derrière le professionnel, derrière le colosse et l’énergumène, il y avait aussi un érudit et un homme sensible, tourné vers les autres, capable en cas de besoin de manifester sa gentillesse « gros nounours » pour chacun d’entre nous. Une forte personnalité, diverse, sympathique, passionnée et passionnante, convaincue et parfois dérangeante ; il n’était pas fait pour rentrer dans les cases, et a su exprimer en toute liberté la parole d’un professionnel engagé, notamment au sein de AdP, à laquelle il était très attaché.
Jean-Louis Venard a été, avec le Professeur Yves Lacoste et Michel Arnaud, un des trois promoteurs de l’AdP. Ils partageaient la conviction, à la fin des années 70 du siècle précédent, que l’urbanisation était un mouvement incontournable et majeur du développement de l’Afrique et, plus, généralement des pays les moins avancés, à l’opposé des thèses alors dominantes de l’urban bias et du « secteur informel », qui stigmatisaient une « urbanisation sans industrialisation » – jusqu’à l’abandon des schémas directeurs, accusés de la favoriser. Thèses auxquelles on voyait bien que la Coopération Française ne résisterait pas. En fondant, en 1979, l’Association des Directeurs de Projets comme une association de personnes, n’engageant qu’elles -mêmes, il s’agissait donc d’offrir un cadre de débats à ceux qui voulaient défendre la grande tradition française (et espagnole) des “villes coloniales”. Il s’agissait aussi d’adapter la planification urbaine, celle des plans directeurs et de l’urbanisme opérationnel, formalisée au Maroc pendant la seconde Guerre Mondiale, avant de s’imposer en France. Le Pr. Lacoste n’a finalement pas adhéré à l’ADP.
Jean Louis Vénard participait avec énergie et conviction aux Journées annuelles, plus rarement aux réunions mensuelles du soir à cause de son « train pour Orléans », et fournissait des articles au bulletin – dont il a d’ailleurs été un moment Directeur du comité de rédaction. Venard n’a quitté l’AdP qu’en prenant sa retraite.
Il aura au moins connu le retournement des instances internationales, au FUM de 2006, à Vancouver, et entendu la parole prononcée par la représentante de la Banque Mondiale, Katherine Sierra :
The mistakes of the past stare us in the face. They need not be repeated. Humanity has indeed been given a second chance: we now need to build new urban areas yet again that are at least equivalent in size to the cities that we have already built, we need to do it better, and we need to do it in a very short time.2
Mais c’est du bout des lèvres et en rappelant inlassablement les objectifs normatifs, producteurs d’exclusion, que l’aide internationale a endossé cet ultimatum. On recommande toujours, 15 ans après, de n’accepter qu’une urbanisation conforme à une stratégie nationale volontariste, un travail informel… décent et un habitat des plus démunis… qui ne soit pas précaire (NUA 2016) pour le demi-milliard de citadins africains qui n’auront pas accès à un emploi formel ou moderne en 2050 !
Saluons, avec amitié et respect, la mémoire de notre collègue et poursuivons son combat.
1 Ce qui a été vérifié avec environ 3,2 millions en 2000.
2 « Apprenons des erreurs du passé. Celles-ci ne doivent pas être répétées. L’humanité bénéficie d’une seconde chance : nous devons maintenant construire de nouveaux territoires urbains qui auront au moins une taille équivalente de ceux qui sont déjà construits. Nous devons le faire mieux et nous devons le faire vite. » (traduction libre)