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Le « Manuel de gestion urbaine au Burkina Faso », document réalisé par le ministère de l’Habitat et de l’Urbanisme, distingue trois niveaux de ville dans le pays. Les petites villes possèdent un certain nombre d’équipements dont seule la commune est la zone d’influence. Les villes moyennes sont celles dont les équipements ont une influence régionale. Les métropoles quant à elles sont censées être dotées d’équipements ayant une influence suprarégionale, voire nationale.
Cette distinction sur la base du niveau d’équipement paraît pertinente. Beaucoup de villes burkinabè, notamment celles secondaires, peinent à se doter d’équipements publics. Cela s’explique principalement par une politique de décentralisation qui n’a pas encore produit ses effets. En effet, ce n’est qu’en 2006 que le processus de décentralisation a abouti à une communalisation intégrale du territoire national. Le pays compte désormais 13 régions collectivités et 351 communes ont été créées : 302 communes rurales et 49 communes urbaines. 11 domaines de compétences (foncier, urbanisme, environnement, planification, santé-hygiène, éducation-emploi, culture-sport-loisirs, protection civile, pompes funèbres, eau-électricité et marchés) ont été transférés aux communes.
Cependant, malgré leur croissance rapide (5,3% par an selon le programme-pays urbain du Burkina Faso mis en place en 2013 avec l’aide de Cities alliance), les villes secondaires manquent de ressources financières pour mettre en œuvre leur stratégie de développement urbain. Le transfert des ressources correspondant à l’exercice plein et entier des compétences transférées reste très faible. Selon le journal L’Économiste du Faso, en 2020, seulement 11,39% du budget de l’État a été transféré à toutes les collectivités du pays. De plus, l’incivisme fiscal est à l’origine de la faible mobilisation des ressources internes.
Le bénéfice de la délocalisation de la fête nationale
Dans ce contexte de vaches maigres, la délocalisation de la fête de l’indépendance apparait comme un outil d’appui à la décentralisation et au développement local original et pertinent ! Acquise le 5 août 1960 lorsque le pays était encore appelé Haute-Volta, l’indépendance de l’actuel Burkina Faso est fêtée chaque 11 décembre. Or, en 2008, à l’instar d’autres pays comme la Guinée, le Gabon…, a été instaurée une célébration tournante de cette manifestation. Les villes secondaires comme Fada N’Gourma, Ouahigouya, Koudougou, Dori, Dédougou, Kaya, Manga et Tenkodogo ont, chacune à leur tour, accueilli ce grand évènement et ont pu voir changer leur image après le passage des festivités.
La fête de l’indépendance est ainsi une occasion pour les villes hôtes de bénéficier d’infrastructures à même de doper leur développement social et économique, un développement urbain impulsé et financé par l’État. C’est l’occasion de réaliser des infrastructures de voirie et réseaux divers, des équipements scolaires, sanitaires et sportifs, des programmes de logements sociaux, des salles des fêtes ou polyvalentes. Ces travaux contribuent activement au développement des villes hôtes. Au regard de ces nombreuses réalisations, la célébration tournante du 11 décembre reste une opportunité de redistribution de la croissance vers les villes secondaires, hors des deux métropoles de Ouagadougou et Bobo-Dioulasso.
Des efforts restent à faire
Il convient de nuancer toutefois ces propos. Malgré les efforts financiers considérables déployés, ces aménagements profitent peu à l’amélioration effectif du cadre de vie des populations de ces centres urbains. Et l’enjeu de la durabilité des équipements réalisés et des actions entreprises se pose aujourd’hui… Cette approche donne souvent l’impression de mettre les projecteurs sur la ville de l’année le temps de l’évènement, dans une vision court-termiste et souvent électoraliste !
Au-delà de la construction d’infrastructures à même de contribuer au développement, la qualité des réalisations reste un défi à relever. En effet, pour assurer un développement économique local, des emplois temporaires sont générés à travers la méthode de travaux à haute Intensité de main d’œuvre (HIMO), appliquée aux programmes de construction pour l’accueil de la fête nationale. Cependant, il ne s’agit que d’emplois temporaires et peu durables : face à l’absence de financement pour la construction de la ville, les travailleurs ne peuvent que très rarement réinvestir leurs compétences dans de nouveaux chantiers. Et cette méthode peut parfois poser également la question de la durabilité et de la qualité des infrastructures qui sont réalisés dans des délais très courts et qui vieillissent parfois très rapidement et très mal.
Surtout, on ne doit pas mettre ces travaux étatiques en perspective avec les capacités des maitrises d’ouvrage locales et les budgets communaux faibles. Les ouvrages réalisés devraient donc être adaptés aux moyens locaux, ce qui n’est pas souvent le cas. En effet, étant donné les énormes difficultés actuelles, liées au manque de moyens humains, matériels, techniques et financiers que rencontrent les communes, ces réalisations ne devraient pas les fragiliser davantage. Ainsi, ces collectivités devraient être en mesure d’entretenir et de gérer les nouveaux équipements, tout en collectant les ressources issues de leur exploitation.
Des bâtiments d’intérêt national plus que local
Au final, et paradoxalement dans cette perspective de développement des villes secondaires, c’est plus la centralité qui est fêtée que la décentralisation. Les bâtiments ou les infrastructures construites réaffirment très souvent la présence de l’État, avec avant tout une valeur symbolique forte : bâtiments administratifs, logements pour cadres de l’État, centres sportifs d’envergure nationale.
Mais peu de réalisations sont consacrées au développement des infrastructures économiques et marchandes, tels que marchés ou gares routières, autant de sources d’activités à même de générer des taxes pour les mairies. L’élargissement de l’assiette fiscale conduirait petit à petit les collectivités concernées vers l’autonomie financière.
Ces nouvelles ressources seraient ainsi consacrées à la réalisation d’équipements de proximité et à la fourniture de services de base, toujours insuffisants. Elles permettraient aussi de s’attaquer au grand problème d’insécurité que connait le pays.
En jouant sur tous ces tableaux, l’accueil tournant de la fête de l’indépendance dans les villes moyennes devrait permettre de réduire considérablement les migrations de populations vers les deux grandes villes du pays.
Cela suppose une véritable prise de conscience du rôle de ces villes secondaires, au-delà de l’aspect symbolique des fêtes tournantes. Du chemin reste encore à faire, mais il apparaît plus que nécessaire pour lutter contre les inégalités et l’insécurité.