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Marie-Jeanne Hautbois est responsable de la fondation suisse EPER pour Haïti. Elle présente la mobilisation des acteurs qui a permis de créer des écoles communautaires dans une région reléguée du pays. Mais elle pointe aussi la difficile cohabitation de ces communs locaux avec les programmes internationaux d’aide au développement.
À Haïti, juridiquement, chacun doit avoir accès à « une éducation de qualité » (constitution de 1987).
À l’extrême sud-ouest du pays, le département de la Grand’Anse se caractérise par son univers rural, au relief accidenté, accentuant les difficultés d’accès et de communication. L’aménagement de ce territoire et ses infrastructures demeurent épars et réduits, notamment en termes de service d’éducation.
Sur initiative de la population, des projets d’écoles communautaires ont été mis en œuvre pour permettre l’éducation des enfants de ces zones éloignées. L’organisation EPER a ainsi apporté un support technique et financier pour la construction de bâtiments et un accompagnement de fond à la structuration socio-organisationnelle de la démarche communautaire.
Cela a permis aux parents de se constituer en association. Un comité exécutif par école a pu être élu et fonctionner avec des membres formés à leur rôle et à leurs responsabilités. Des activités génératrices de revenus issus de productions locales se sont développées au sein de ces associations. Ces revenus ont rendu possible la gestion autonome de leur école communautaire respective. L’État n’intervient pas, chaque association de parents est propriétaire et responsable de la gestion de son école, ce qui inclut les locaux comme les enseignants.
En amont de la rentrée scolaire, le budget annuel de l’école communautaire est minutieusement préparé, prévoyant les entrées potentielles et les dépenses attendues. Il est validé en assemblée générale. Bien que limitée en termes de moyens, l’initiative fonctionne sur un certain nombre de sites, là où la volonté est suffisante et encouragée par une adhésion de l’ensemble du collectif.
Les communautés paysannes en charge de ces écoles communautaires sont attachées à un fonctionnement optimal de leur autogestion, laquelle leur rend une dignité difficile à cultiver dans le contexte si fragile d’Haïti.
Le programme ministériel
Parallèlement, dans la perspective de développer l’accès à l’éducation, les autorités haïtiennes en charge de ce domaine, sont notamment partenaires de la Banque mondiale. Différents programmes se sont succédé dans ce cadre, dont le Programme pour une éducation de qualité en Haïti (PEQH). Avec plusieurs millions de dollars de fonds gérés par un service dédié du ministère de l’Éducation nationale et de la formation professionnelle, spécifique aux partenariats internationaux, le PEQH revêt plusieurs composantes :
- l’amélioration de la capacité institutionnelle et de la gouvernance (tant au niveau local que national ) ;
- le soutien à l’accès à l’éducation publique de qualité ;
- le soutien à l’accès à l’éducation primaire non-publique de qualité ;
- le suivi, la gestion et l’évaluation.
La mise en œuvre sur le terrain du PEQH a rudement compromis la pérennité des structures qui étaient au cœur de projets d’écoles communautaires.
En effet, le référent local du PEQH démarche des directeurs d’écoles communautaires pour qu’ils adhèrent à ce programme, arguant qu’ainsi ils n’auront plus à payer les enseignants par eux-mêmes. Le principe de base du PEQH institue que les parents n’aient pas à cotiser pour l’éducation de leurs enfants, le PEQH prenant tout en charge, à hauteur d’un forfait annuel par élève de 140 dollars américains.
Un comité ad hoc est mis en place par école ciblée et un contrat est signé, notamment avec la direction de l’établissement.
Pourtant, dans les cas relatés, l’école communautaire relève de l’association de parents dont aucune des huit écoles enrôlées n’a jamais été considérée ou informée par les agents du PEQH.
Un manque de considération
La méprise étant possible, des contacts ont été pris avec qui de droit, tant au niveau du ministère de l’Éducation nationale, qu’à celui de la Banque mondiale afin de décrire en détail l’existence et la fonctionnalité des entités communautaires. Sans résultat… Ces associations de parents n’ont pas pu être prises en considération. Et le contrat signé avec chaque directeur de ces écoles n’a pas été partagé avec elles, malgré plusieurs sollicitations en ce sens. L’engrenage lucratif financier étant enclenché (avec les 140 dollars / élève inscrit), des actions ont été entreprises par les partenaires du PEQH.
Ceux-ci avaient pour objectif d’augmenter les effectifs des écoles incluses au programme dans d’importantes proportions.
Le PEQH a eu pour effet de vider d’autres écoles communautaires environnantes, devenues de ce fait non viables puisque les contributions parentales n’y sont plus suffisantes. Une attention particulière avait été apportée pour l’implantation des écoles et instituer les associations parentales dédiées afin que chaque élève puisse accéder à un équipement de proximité. Aujourd’hui, les enfants appelés à grossir les effectifs des écoles incluses au PEQH doivent effectuer une longue marche pour se rendre en classe.
Même si sur le principe, le PEQH est naturellement voulu exemplaire, l’opacité domine et les parents n’ont de visibilité ni sur les moyens mis à disposition de leur école, ni sur leur usage concret. Les examens de fin d’année ne sont pas uniformisés, ce qui ne permet pas une mesure qualitative. Finalement, personne ne sait si la qualité éducative progresse réellement.
Ce que nous voulions relever ici et qui nous semble grave et dommageable, est la destruction aisée d’un commun. Ces écoles communautaires sont une réponse alternative au déficit de l’État et ont été mises en place dans un objectif de pérennité, a contrario de celles qui n’ont pas rejoint le PEQH.
Mais la caractéristique alternative, non « reconnue », inclut ses faiblesses. Un large programme national (sur fonds internationaux) limité dans le temps (et localement traduit en simples subventions) a anéanti les initiatives communautaires prises pour permettre un service de proximité et pour gérer un accès durable à l’éducation.