Compte rendu du dîner débat du 4 juillet 2006

Quel partenariat bailleur / collectivité locale ?

Charles-Henry Malécot fait le constat d’une méconnaissance entre deux mondes parallèles : celui des bailleurs et celui des collectivités locales.
Pour les bailleurs, la coopération décentralisée était perçue jusqu’ici avec un certain mépris.
Les collectivités quant à elles font beaucoup de choses, ont des professionnels, mais peu de moyens financiers et doivent prendre en compte la volonté des habitants pour l’utilisation de l’argent public.
M. Malécot rappelle les partenariats en cours de constitution entre le Grand Lyon et l’AFD, notamment sur Ouagadougou ; il cite aussi l’exemple de Pro Act, un projet européen dans lequel des villes européennes et asiatiques se rassemblent pour monter des projets susceptibles d’être financés par des bailleurs ; l’écueil étant que les bailleurs ne financent souvent que les Etats et ne peuvent insérer ces projets dans leurs programmes déjà établis avec les Etats.
Selon lui, les collectivités devraient accepter dans un premier temps de travailler dans le cadre des programmes des bailleurs ; l’enjeu étant aussi d’apprendre à se connaître.
Il ne faut pas monter des projets artificiels sous prétexte de travailler ensemble, , mais un partenariat peut être pertinent si un bailleur vient s’impliquer dans une ville du sud ou une collectivité du nord est « présente » depuis longtemps.
Thierry Paulais souligne qu’il faut distinguer les bailleurs multilatéraux et bilatéraux.
Il semble qu’il soit plus facile pour un bailleur bilatéral de travailler dans le cadre de la coopération décentralisée que pour un multilatéral.
Ainsi une spécificité du travail de l’AFD dans le domaine du développement urbain est sa capacité de travailler directement avec les collectivités locales, même si certains projets ont une ampleur nationale.
L’AFD peut ainsi être en prise directe et travailler en « sous-souverain », c’est-à-dire avec les villes, contrairement à la Banque Mondiale qui, dans ses statuts mêmes, a l’obligation de traiter avec les Etats.
M. Paulais décrit le panel de modes d’interventions possibles selon les pays : pays bénéficiant de prêts, pays bénéficiant de subventions…
Dans certains pays, notamment les pays émergents, l’AFD a la possibilité de travailler avec des « mix » prêts-subvention.
L’AFD a noté l’importance que prend la coopération décentralisée et a compris qu’elle ne résulte pas seulement de simples affinités entre élus. Elle met donc en place une vraie stratégie de développement. Ainsi un poste de chargé de mission dédié a la coopération décentralisée a été créé a l AFD, occupé par Robert de La Rochefoucauld.
M. Paulais insiste sur le fait que les bons projets sont le plus souvent ceux qui ont été étudiés en amont entre collectivités et bailleurs, sachant que le bon positionnement des collectivités est selon lui sur le soft.
Les sollicitations des collectivités du nord auprès de l’AFD sont nombreuses et l’AFD doit faire des choix en fonction de ses propres capacités de financement et selon les priorités stratégiques définies pays par pays avec les ambassades.
Il faut que chaque partenaire trouve un intérêt ; il ne faut pas hésiter à parler d’argent dès le début et qu’il y ait un financement de la part des trois partenaires, en fonction des rôles de chacun.
« Les élus parlent aux élus et les techniciens aux techniciens », cela constitue un atout pour monter les projets. D’autant que pour l’AFD, un bon projet doit se monter vite et être pérenne, ce qui rend intéressant le partenariat avec les collectivités du nord qui inscrivent leur action dans la durée.
Ainsi l’assistance à maitrise d’ouvrage, le « soft », trouve une application dans les projets financés par l’AFD ; ce temps du projet renforce les liens entre collectivités dans la durée de la coopération décentralisée.
L’AFD a plus d’une dizaine de projets en cours avec Lyon, Toulouse, Lille, Paris, l’Ile de France, Mulhouse, Strasbourg, (en Asie, Afrique, au Moyen Orient, dans les Caraïbes). Ce type de partenariats réoriente le champ d’action de l’AFD du projet urbain classique vers des champs plus larges tels que l’intercommunalité, ou sur des thématiques renouvelées comme le transport urbain (tramway de Rabat, métro léger d’Hanoi, BRT en chine)
Gilles Pipien explique que la Banque Mondiale méconnaissait la coopération décentralisée mais qu’elle commence à découvrir le rôle des collectivités locales et à s’y intéresser.
La Banque Mondiale connaît donc peu les collectivités du sud et encore moins celles du nord mais les projets thématiques (transport, déchets…) l’amènent de plus en plus à prendre en compte le développement des villes, et par conséquent les collectivités qui les gèrent.
Même si la Banque Mondiale travaille avec les Etats, l’approche des projets est de plus en plus territoriale.
Chacun est conscient que, sur des thèmes spécifiques, il est nécessaire d avoir une appropriation des projets par la population pour que ce soit un succès. Il faut donc travailler avec les élus locaux représentatifs.
La Banque Mondiale découvre les collectivités du nord comme un réservoir potentiel de praticiens (plutôt que d’experts). Cela représente un réseau intéressant, même si pour le moment on mobilise généralement un individu plutôt qu’une collectivité (un technicien du nord forme un technicien du sud).
Il existe 3 catégories de clients :
  • Les plus pauvres à qui l’on prête aux taux les plus bas et à long terme (ces prêts s’apparentent a des subventions), avec annulation de dette régulière (Yémen…)
  • Les plus riches pour qui l’on fait de l’expertise contre remboursement (Pays du Golf, Algérie…)
  • Les clients classiques qui remboursent un prêt
La Banque Mondiale ne prête généralement qu’aux Etats, ce qui lui garantit le remboursement.
Cependant, il existe des prêts territorialisés, et des « prêts non souverains » (pays émergents) .
la Banque peut procéder à des prêts territorialisés : c’est le cas de l’Egypte où le travail se fait avec les services déconcentrées de l’Etat.
La société financière d’investissement international de la Banque Mondiale (SFI/IFC) a créé, en 2005, un fonds municipal pour des prêts mais également des cautions et des garanties. Par exemple, garantie pour des achats de matériels ferroviaires, participation au capital pour élever les cotations de la ville sur le marché financier,…La SFI/IFC intervient en fait surtout dans les pays émergents, en appui à des collectivités riches (Afrique du Sud, Asie, Amérique latine), solvables.
Il existe enfin des prêts à un Etat, puis transférés par cet Etat à une collectivité locale ; mais dans ces cas là, le risque existe que la collectivité ne rembourse pas à l’Etat qui ne remboursera pas à la Banque Mondiale. Donc ce type de prêt ne fonctionne pas car cela nécessite un mécanisme de double garantie qui bloque le projet (cf. Maroc)
Enfin, il existe Cities Alliance, un fond fiduciaire multilatéral particulier pour la lutte contre les bidonvilles, qui aide les collectivités locales à la mise en place de stratégies de lutte contre la pauvreté. Cet outil permet de réfléchir à la stratégie d’une collectivité locale du sud en mobilisant une ou des collectivités du nord en compagnonnage sur la définition de cette stratégie. Exemple : Alexandrie, Tripoli…
Ce genre de réflexion stratégique est une forme de partenariat bailleurs / collectivités du nord et du sud, sujet du présent débat.
Il existe donc des évolutions structurelles importantes, mais globalement, la Banque Mondiale continue, au moins dans les PMA, de prêter aux Etats et non aux villes, tant pour des problèmes de garantie de remboursement d’emprunt que par souci de « rentabiliser » le temps de sa technostructure sur des projets les plus larges possibles, regroupant plusieurs villes à la fois.

Echanges avec la salle

Monsieur Crépin se demande pourquoi les bailleurs ne s’aperçoivent que si tardivement que la coopération décentralisée existe et fonctionne bien ?!
M. Paulais lui répond que les bailleurs sont désormais devenus proactifs par rapport aux questions de coopération décentralisée. L’impact de la décentralisation en France a également fait évoluer les modes de coopération (on ne se situe plus seulement dans le cadre de jumelages) et la puissance des collectivités locales.
Michel Arnaud souligne que toutes les collectivités locales, y compris du temps de la colonisation, se sont développées sur appel à l’emprunt. Cette question est donc centrale.
Par ailleurs, il trouve singulier que l’on redécouvre aujourd’hui le caractère territorial du développement et il précise que les collectivités du nord ont l’expérience d’exercer une responsabilité sur un territoire, et que leur apport aux villes du sud porte avant tout sur la transmission de cette expérience.
A la question des objectifs suivis par les collectivités du nord dans leur coopération décentralisée, M. Malécot rappelle leurs motivations principales : recherches de marchés (pays émergents), liens avec la population immigrée, aspect humaniste, expérience enrichissante pour les cadres des collectivités…
M. Paulais explique que les bailleurs comprennent toutes ces raisons, auxquelles il ajoute la recherche d’image internationale et de notoriété des villes du nord. Il précise que les villes du sud ne sont pas ignorantes de ces motivations multiples et savent s’en servir à l’occasion, mais il constate par ailleurs que certaines villes des PMA n’attirent pas les partenaires du nord.