Géographie, Ville et Développement
Le traditionnel dîner-débat de l’ADP a réuni, en janvier dernier, une quarantaine de professionnels du développement autour d’un ouvrage de géographes. Intitulé « L’Afrique Subsaharienne, une géographie du changement », ce livre est devenu depuis sa première édition en 1998, une référence dans la sphère universitaire. Claude Jamati, le président de l’ADP recevait les auteurs MM Jean-Pierre Raison et Alain Dubresson, professeurs de géographie de l’Université Paris X Nanterre, venus présenter leur ouvrage et dialoguer avec les « opérationnels ».
« Quels rapports entre ville et développement en Afrique ? » interroge Alain Dubresson pour introduire son exposé. Si l’articulation entre ville et développement apparaît aujourd’hui riche d’enjeux, cela n’a pas toujours été le cas : entre les discours « anti-urbains » des années 80 et une « vision idéologique » inspirée de la théorie des lieux centraux dotant les villes de vertus hiérarchisantes, « comment tenir les deux bouts » ? Depuis les années 80, la crise des Etats africains et les remodelages subséquents « vecteurs de changements profonds », ont encore modifié la donne. D’où la question qui a orienté cet apport : « quelles dynamiques l’état de crise a-t-il révélé ? »
Des « réponses africaines » à la crise
Les réponses à la crise s’inscrivent dans un contexte spécifique dont il faut prendre acte : « les villes sont des villes africaines, peuplées par des citadins africains ». Pour cerner ces « réponses africaines », A. Dubresson propose trois échelles d’analyse :
In situ, à l’échelle de la ville, on observe un triple processus : informalisation, ruralisation (importance de l’agriculture intra-urbaine) et réactivation des liens avec les « régions d’origine ».
Si ces trois phénomènes sont à l’origine d’une mutation des villes, ils entraînent dans le même temps une mutation des campagnes. « Grandes gagnantes » de la crise, les campagnes ont d’ailleurs tendance aujourd’hui à accueillir des flux de « rétro-migration » qui procèdent paradoxalement d’un « exode urbain ». A une plus petite échelle, on voit apparaître une densification des semis urbains. Une attention plus grande est portée aujourd’hui aux villes petites et moyennes qui occupent une position clé, à l’articulation entre le rural et l’urbain. La troisième échelle d’analyse fait surgir « la revanche des discontinuités ». Si depuis les années 60, on observait en Afrique une tentative de construction des Etats-nation par l’établissement d’ensembles cohérents, la période actuelle est marquée par les fragmentations territoriales. Parallèlement à ce « processus d’étiolement des territoires étatiques », on voit apparaître à cette échelle, l’émergence de « noyaux économiques » plus ou moins bien liés à l’économie monde qui impriment des inégalités fortes dans les territoires. Le processus de capitalisme marchand, s’il entraîne la circulation des produits, n’investit pas, cependant, dans des infrastructures de long terme. Dans un tel contexte, il paraît important de repenser l’articulation entre le local et le global tout en redonnant une place à l’Etat. Repenser l’action publique dans le cadre des partenariats publics privés apparaît également comme un impératif absolu.
Des campagnes à la ville
L’exposé de Jean-Pierre Raison s’est porté sur les articulations entre villes et campagnes. Si depuis la position « d’angle mort de l’étude géographique » qu’elle occupait autrefois, la ville a fait son chemin dans la discipline, les ruralistes ont de quoi être rassurés : la croissance urbaine ne saigne pas pour autant les campagnes en Afrique. Et l’on constate parallèlement, une persistance de ruralité dans les villes, « points d’accrochage » entre l’urbain et le rural. Cela démontre précisément la grande souplesse des sociétés africaines, la ruralité dans les villes « jouant un rôle de tampon aux grandes crises ». L’état de crise et la mondialisation ont ainsi révélé toute une série de rapprochements entre ville et campagne. Rapprochements culturels qui se traduisent dans les habitudes alimentaires, mais aussi rapprochement dans la « relation au monde » : quels « effets de vision » entraîne la mondialisation, via les postes de radio et de télévision, sur l’imaginaire des urbains comme des ruraux ? La dureté de la crise pourrait aussi être liée au déplacement de la frontière entre réel et imaginaire. Un troisième rapprochement concerne le domaine foncier. La pression qui se resserre sur la terre génère des tensions entre urbains et ruraux. On voit ainsi émerger dans les villes de nouveaux enjeux liés à la mise en valeur du patrimoine. Enfin, JP Raison a mis l’accent sur la découverte du « vivrier marchand » qui constitue un autre type d’articulation entre ville et campagne : évoquant, entre autre, la commercialisation de l’igname à Abidjan, le géographe a montré à quel point, les villes sont à l’origine de dyn ami ques nouvelles à partir desquelles s’opèrent des mutations dans les campagnes.
Débat
A la suite de cet exposé, plusieurs questions ont émergé dans l’assemblée. Une première question posée par un étudiant du Master Isur concernait la crise des encadrements urbains et le retour du religieux dans les cas africains et sud-américains. Ont suivi plusieurs interventions dont celle de Xavier Crépin, Délégué général de l’ISTED et celle de Jean-François Vergès (ICEA) qui a amené les deux auteurs à discuter de la place occupée par la géographie physique dans leur ouvrage. Hugues Leroux (Groupe 8) a quant à lui formulé deux questions : l’une concernant la place accordée par les deux géographes à une analyse historique de l’Etat, l’autre sur les différences qui pourraient exister entre l’Afrique subsaharienne et des aires géographiques où la tradition urbaine est beaucoup plus ancienne comme le Maghreb et l’Asie. En réponse, M. Dubresson a rappelé la spécificité des découpages territoriaux africains avant de mettre l’accent sur le lent processus, non encore achevé aujourd’hui, d’adaptation et de composition entre les crises et les nouveaux cadres étatiques. Pour répondre à la deuxième question, il a rappelé l’existence, en Afrique subsaharienne, de sociétés pré-coloniales importantes puis souligné l’ existence d’une « historicité de l’urbain » africaine : selon le géographe, le choc colonial a créé, en Afrique, une urbanité qui s’est prolongée puis hybridée, donnant naissance à des «formes d’urbanité inconnues ailleurs ». Marie-Noëlle Rosenweg et Philippe Biongolo, deux représentants de la Sonacotra (Société Nationale de Construction pour les Travailleurs) présents au débat ont également pris part à la discussion. Crée en 1956 pour loger les travailleurs algériens, leur association qui gère aujourd’hui des logements sociaux dans toute la France, accueille notamment de nombreux ressortissants des pays africains. Enfin, Pascal Chombart de Lauwe, architecte-urbaniste et anthropologue s’est référé à son expérience professionnelle pour évoquer l’existence, en Afrique, d’un « besoin de ville », vu cette fois, en tant qu’ « espace de plaisir » en dehors de toutes considérations économiques ou administratives. D’où selon lui une question épineuse : comment créer des centralités dans les grandes périphéries des villes africaines ? Une collaboration soutenue entre professionnels et chercheurs paraît essentielle pour élaborer des réponses pertinentes à de telles interrogations.