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Les problèmes de croissance et de congestion des mégapoles africaines s’expriment d’abord sur la question du foncier. Classiquement, l’extension des infrastructures portuaires est aujourd’hui contrainte par les limites du domaine portuaire, toujours plus marquées en raison des enjeux de sûreté et de sécurité et au-delà desquelles l’espace est en général densément urbanisé. Or l’évolution des trafics maritimes (croissance des volumes, navires de plus en plus gros, besoin de terminaux spécialisés, conteneurisation) exige des quais de plus en plus longs, des tirants d’eau de plus en plus profonds et des surfaces de manutention et de stockage toujours plus étendues.
Suite au développement considérable des infrastructures portuaires africaines ces quinze dernières années, rares sont les ports africains qui disposent encore de réserves foncières permettant de faire face à ces nouveaux besoins d’espace. Des ports comme Dakar (Sénégal) et Douala (Cameroun) n’ont plus de réserve foncière et perdent donc en efficacité et en compétitivité, avec des délais accrus d’accueil et de chargement/déchargement des navires.
L’augmentation des trafics routiers liés à l’activité portuaire est l’autre source de conflit majeure.
Dans le cas de ports situés en plein centre-ville comme à Casablanca, Douala, Dakar, Monrovia, la fluidité des rotations de camions est fortement entravée par la densité du trafic urbain. Au port de Lagos, au Nigeria, chaque camion passe en moyenne deux à six jours dans la queue vers les voies d’accès portuaires. Et les camions mettent jusqu’à dix jours pour parcourir une distance de moins de 5 km pour entrer dans le port pour décharger ou réceptionner des marchandises.
Inversement, la congestion liée au trafic de camions entraîne des nuisances pour les populations urbaines : pollution de l’air, congestion voiries abîmées, insécurité routière. Pourtant le lien ville-port reste fort, notamment à travers l’emploi. Face à ces difficultés, les villes-ports africaines mettent en place différentes stratégies afin de résoudre ou limiter ces conflits.
Fluidifier les interactions ports-villes passe tout d’abord par une gestion plus organisée des flux de camions dans l’environnement immédiat des ports : parkings dédiés et système de rendez-vous (comme à Dakar), voies de contournement (en construction à Abidjan), ou encore plateformes logistiques périphériques.
C’est le cas par exemple de Casablanca, où une route de 18 km relie directement le port de Casablanca à la zone logistique de Zenata, ou de Conakry (Guinée) avec le port sec de Kagbelen, à 35 km du port industriel. La fluidification passe aussi par la dématérialisation et la digitalisation des flux et procédures douanières (comme à Cotonou avec la mise en place d’un guichet unique). Cette amélioration des processus, moins coûteuse que des infrastructures, peut avoir un impact significatif sur la réduction de la congestion et de ses nuisances.
Quand l’optimisation atteint ses limites, la deuxième étape de cette transition est de repositionner tout ou partie des activités portuaires, en considérant la configuration régionale des infrastructures et des flux. Paradoxalement, cette deuxième étape se passe donc souvent en dehors des villes-ports. Ainsi, la construction du port de Kribi (Cameroun) répondait à un enjeu de désengorgement du port saturé de Douala ; Kribi bénéficie par ailleurs d’un très bon tirant d’eau naturel et se positionne comme un pôle de transbordement régional. Dakar envisage également la création d’un nouveau port en eaux profondes à 30 km de Dakar, pour accueillir certains trafics.
Enfin, dernière étape dans cette transition : suite à la délocalisation de certaines activités portuaires, certaines villes-ports africaines ont déjà rendu une partie des espaces à la ville et converti des bassins
historiques inaptes à la massification en fronts de mer aménagés autour de bassins de plaisance, d’activités culturelles, commerciales et récréatives. C’est le cas de Tanger (Maroc), qui a transformé l’ancien port industriel en un port touristique de plaisance, ou de Casablanca, qui avec son projet Wessal envisage une reconversion d’anciens bassins portuaires par l’aménagement d’un front de mer associant espaces de loisirs et touristiques et centres d’affaires.
Dialoguer entre les communautés urbaines et les autorités portuaires
En Afrique comme ailleurs, les ports sont en général sous la tutelle du ministère des Transports, tandis que la ville est sous l’autorité du ministère de la Ville. Cependant, dans beaucoup de pays d’Afrique, les ports jouent un rôle tellement stratégique dans l’économie nationale que les communautés urbaines peinent à s’imposer dans un dialogue avec les autorités portuaires. Il n’est pas rare que les décisions relatives aux ports soient directement prises au niveau de la présidence.
À titre d’exemple, malgré la présence de la communauté urbaine de Douala au conseil d’administration du Port autonome de Douala, son poids pèse peu sur les décisions d’aménagement et de modernisation du port, y compris lorsqu’elles se heurtent aux plans de développement de la ville (cas du projet Sawa Beach prévoyant un réaménagement de friches portuaires). Sans portage au niveau national, les projets visant à limiter les nuisances liées au développement parallèle du port peinent à se concrétiser.
Plus globalement, beaucoup de villes-ports en Afrique manquent d’espace de dialogue multi acteurs. Afin de développer une proximité organisationnelle et institutionnelle plus dynamique, il est important de développer des projets fédérateurs dans le cadre desquels chaque entité pourra plus librement exprimer ses besoins. C’est dans ce cadre que se sont développés les projets réussis de reconversion de zones portuaires au Maroc.