Bulletin n°117b

Former les cadres urbains et territoriaux du Sud de la Méditerranée

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Xavier J. Crépin, Architecte Urbaniste

École urbaine villes et environnement urbain, Master Ingénierie des Services Urbains en Réseaux-Villes en Devenir ISUR VED

Sciences-Po Rennes

 

« Ne demandez jamais quelle est l’origine d’un homme ; interrogez plutôt sa vie, son courage, ses qualités et vous saurez ce qu’il est. Si l’eau puisée dans une rivière est saine, agréable et douce, c’est qu’elle vient d’une source pure. »

Abd El-Kader, 1860, dans L’émir Abd El-Kader, 1808-1883, paru chez Hachette, 1925, p.5, Paul Azan

 

 Dans le cadre du groupe de travail initié par le ministère des Affaires étrangères en 2007 sur la gouvernance démocratique des villes, le ministère de l’Équipement, du Développement Durable et de l’Aménagement du Territoire a demandé à l’ISTED[1], institution sous sa responsabilité, de rédiger un guide à l’attention du réseau économique et technique français dans le monde. Ce guide porte sur les interventions à effectuer dans les villes et a été constitué en support de la création en du Partenariat français pour la ville et le territoire, PFVT[2].

Intitulé « Villes en devenir »[3] et traduit en huit langues, il donne à comprendre et propose des clés pour agir dans les villes en devenir selon douze thématiques qui couvrent les principaux domaines d’études et d’intervention de manière simple et compréhensible pour des non professionnels de l’urbain.

L’ISTED mandaté par la Banque mondiale et l’Union européenne pour imaginer l’organisation du centre El Jazair de Damas dans le cadre du programme de modernisation de l’administration municipale en Syrie en 2007[4], a élaboré et le triptyque « connaître, améliorer, soutenir », en anglais « Knowledge, Improve Support » KIS. Plus récemment la notion de durabilité et de résilience contenue dans le terme « Sustain » a été ajoutée, avec l’acronyme final KISSã.

C’est à la suite de ces travaux et de leur publication qu’à la demande des autorités du Maroc et de Tunisie, puis auprès de ressortissants d’autres pays francophones d’Afrique sur la gouvernance de l’eau et de l’assainissement[5], qu’ont été réalisées plusieurs sessions de formation de cadres municipaux et territoriaux en développant un approche structurée autour du guide et de quatre axes : la Connaissance ; la Compréhension ; l’Action ; et la Prospective.

Cet article a donc pour objectif de montrer la d’une telle approche au regard des attentes et besoins des professionnels de la ville et des territoires au sud de la Méditerranée, au vu des évaluations que les auditeurs des différentes formations ont pu renseigner au terme de ces sessions de . Le développement de bases de données, le développement de leur accessibilité ouverte aux différents types d’acteurs, la déclinaison des formations selon ces quatre dimensions et la poursuite des travaux sur la planification et la régionalisation figurent comme priorités mentionnées par les auditeurs.

Tout se joue bien sûr dans la connaissance des villes, différentes les unes des autres même dans un Pays ou une région identique. Raoul Blanchard nous a appris au début du 20ème dans ses déambulations dans Grenoble et les Alpes à quel point la géographie s’apprend avec les pieds.

Un formateur est d’abord quelqu’un qui partage avec ses auditeurs, étudiants et professionnels la passion de l’espace qu’il appréhende. Les balades urbaines et territoriales constituent donc le moment premier de la découverte d’une ville, de son site parfois difficile à appréhender par le relief, la chaleur, l’altitude, la poussière, les odeurs et les bruits.

La ville perçue par les 5 sens donne à connaître sa spécificité, variable dans chaque quartier dans les villes cosmopolites comme à Istanbul. Ces difficultés sont en voie d’accélération sous l’impact du changement climatique dont les villes et leurs populations sont à la fois les déclencheurs et les victimes en raison d’inadaptation.

Les villes et territoires de la rive sud de la Méditerranée se prêtent particulièrement à cet exercice de découverte par la densité du bâti qui leur est propre et qui fascine de longue date les explorateurs, géographes et architectes. Elles ont inspiré le mouvement d’architecture et d’urbanisme moderne et sont bien documentées notamment par les travaux des géographes et sociologues.

C’est le sujet qui a été développé lors du séminaire de l’ODCO[6] dans la région centrale de l’ouest de la Tunisie en proie à une urbanisation rapide et sans-emplois suffisants, régions d’où sont issus les mouvements politiques dans les années 2010.

Pour comprendre il faut avoir de l’empathie, aimer la ville et le territoire que l’on entend appréhender décrypter décrire et apprécier son état.

En observateur attentif et affûté des villes françaises, David Mangin nous donne à comprendre les évolutions de la ville originelle faite de proximité et d’activités en commun. Celle-ci s’est progressivement étalée et dispersée sous l’effet d’atteintes à l’espace-temps que constituent la révolution industrielle et la mobilité des personnes et des marchandises, accélérée par la dématérialisation des interrelations humaines.

Revenir à une ville où densité, accessibilité et apaisement sont à nouveau des objectifs pour une urbanité retrouvée, tout en réintroduisant nature et biodiversité dans un contexte climatique et local contraint par les changements locaux et globaux est un objectif qui requiert une compréhension globale du fonctionnement de la ville, de ses quartiers et des évolutions qui ont engendré tant de dysfonctionnements. Tel est le sens d’une formation par et pour les habitants des villes et territoires du sud de la Méditerranée.

Cela interroge notamment sur les quartiers d’habitat précaire, que peinent à considérer les différentes autorités en charge. Ce sujet est celui abordé par les cadres de la régionalisation avancée au Maroc développé pour le compte de la direction générale des collectivités locales par la faculté de Gouvernance, de sciences économiques et sociales de l’université polytechnique Mohammed VI de Rabat Salé[7].­­­­

Les principes de l’action découlent de cette bonne connaissance et compréhension des villes et territoires actuels et des tendances de leur développement ou de leur stagnation. Utiliser les ressources éloignées et ménager les ressources locales, tels sont les deux piliers sur lesquels ancrer une politique urbaine qui renoue avec les dynamiques locales à long terme. Carlos Moreno[8] introduit l’idée que dans espace de temps limité à une fraction d’heure rend possible l’accès des citadins à l’essentiel de leurs besoins quotidiens.

La complexité des nouveaux développements socio-économiques et culturels d’une part, et la renaissance réinterprétée des valeurs collectives et spirituelles d’autre part, s’appliquent cependant à des échelles communes de vaste ampleur que constituent les régions métropolitaines, lesquelles structurent progressivement les différentes régions géographiques africaines. Cela est déjà le cas dans les Asies du Sud, du Sud-Est et de l’Est et dans les continents nord et sud-américains, avec les tensions que cela engendre telles que décrites par Saskia Sassen[9].

Des Instituts de formation existent dans les pays du Sud de la Méditerranée qui reprennent cette approche intégrale des villes et des territoires environnants. La plupart agissent en coopération avec des pays européens comme l’université Ain Shams[10] du Caire avec l’université de Stuttgart.

Depuis longtemps et encore aujourd’hui l’extension lotie ou non reste la principale voie de réponse à la demande massive de nouveaux logements, et ce en négligeant les potentialités du renouvellement urbain, comme cela est désormais promu par ma fédération des agences urbaines du Maroc[11].

Anticiper la ville de demain dans ses différences, ses échelles et ses spécificités, en particulier celles qui par leur taille intermédiaire absorberont le choc de la transition démographique et urbaine, tel est l’enjeu que doit affronter en particulier le continent africain en devenant rapidement le lieu où des villes de tailles inconnues à ce jour pourront tout à la fois assurer une vie décente à leurs citadins et permettre une ouverture aux échanges et aux activités pour lesquelles leur capacité sont requises[12].

Utilisées de temps à autre, les villes nouvelles et les grands ensembles fermés reviennent sur le devant des politiques d‘aménagement. Si elles constituent une bonne solution pour anticiper la croissance des métropoles, elles doivent échapper à la tentation que constituent les fonds d’investissement, peu soucieux des futurs occupants, la chaîne de la valeur des opérations spéculatives n’ayant que faire des bénéficiaires et des futurs occupants des constructions réalisées[13].

Dénonçant une société individualiste de masse de nature à remettre en cause la République, l’espace public et la démocratie, Paul Virilio[14] nous invite à la vigilance et à éviter de former les générations futures à planter au milieu du désert pour accueillir des millions d’habitants dans des ensembles linéaires de plusieurs kilomètres qui verront sans doute leur réalisation en version adaptée comme des mirages à .

Les travaux conduits depuis sa création par le PFVT, notamment pour la préparation des rencontres internationales et régionales (le prochain Forum Urbain Mondial au Caire en Novembre 2024), contribuent, dans un regard croisé entre les pays des Suds et les pays avancés, à développer des approches adaptées durables et résilientes pour répondre à la dynamique des villes et territoires en devenir.

 

Bibliographie :

[1] https://everybodywiki.com/ISTED

[2] https://www.pfvt.fr

[3] https://www.academia.edu/44145114/Villes_en_devenir

[4]https://en.wikibooks.org/wiki/Development_Cooperation_Handbook/Stories/Preservation_and_Development_-_MAM

[5] Chaire « Eau Pour Tous » OpT AgroParisTech Mai 2023

[6] http://www.mdici.gov.tn/le-ministere/presentation-du-ministere/organismes-sous-la-tutelle/office-du-developpement-du-centre-ouest-odco/

[7] https://www.um6p.ma/fr/faculte-de-gouvernance-sciences-economiques-et-sociales

[8] https://www.editions-observatoire.com/content/Droit_de_cité

[9] https://www.google.fr/books/edition/Expulsions/hhhljwEACAAJ?hl=fr

[10] https://www.masteretudes.fr/institutions/ain-shams-university/urbanisme-integre

[11] https://www.federation-majal.ma/sites/default/files/event/synthese_workshop_finale.pdf

[12] https://actu.epfl.ch/news/mooc-villes-africaines-gestion-et-planification-ur/

[13] https://journals.openedition.org/cybergeo/35186

[14] http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3137