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Quels enjeux recouvrent les villes intermédiaires pour un bailleur de fonds comme l’AFD ?
Les villes intermédiaires constituent un territoire d’action pertinent pour l’AFD dans le cadre de sa stratégie villes durables. Aujourd’hui, on dénombre ainsi plusieurs programmes mis en œuvre en faveur de ce type de villes, essentiellement à travers le continent africain mais également au Moyen Orient. Au Cameroun, il faut citer le programme Capitales régionales comprenant Bafoussam, Garoua, Bertoua, Maroua et Bamenda, au Ghana, le Ghana Urban Management Pilot Program qui concerne Kumasi, Sekondi-Takoradi, Tamale et Ho, à Madagascar, le Programme d’appui et de développement des villes d’équilibre et en Jordanie, le Programme de développement régional et local. À travers ces différents programmes, une définition commune du terme de « ville intermédiaire » peut être établie, reprenant les grands objectifs et attentes des différents projets à l’échelle communale.
Une ville intermédiaire, c’est une « une capitale régionale ancrée dans son hinterland rural, et en forte interaction avec d’autres villes intermédiaires et/ou la capitale économique ou administrative du pays » (Guide de développement économique local, AFD 2015). Ces villes intermédiaires, il faut les voir comme ayant « un destin lié » avec les métropoles. Elles ont pour fonction d’atténuer les effets secondaires de l’urbanisation rapide, et parfois difficilement contrôlable, des métropoles et, en même temps, elles créent des pôles d’équilibre avec les territoires ruraux. Elles sont ainsi au cœur des enjeux sociaux, économiques, environnementaux et politiques.
Quels sont les modes d’intervention que vous privilégiez ?
Notre mode d’intervention se caractérise par la mise en œuvre de programmes prenant en compte des grappes de villes. Ces programmes ont une portée nationale et sont conçus avec une forte implication des ministères compétents (décentralisation, aménagement, ville). Il s’agit bien souvent d’appuyer la mise à niveau des services urbains pour les dynamiser avec la volonté d’avoir un effet d’entrainement.
Au-delà de la question du financement des infrastructures, ces programmes visent à renforcer les capacités d’action, par l’accompagnement et la formation des équipes locales (élus, personnel des municipalités) et les capacités d’investissement et de gestion financière. Ils visent à renforcer l’autonomie fiscale et financière des collectivités locales, souvent très dépendantes du transfert de ressources de l’État central, via une meilleure connaissance des bases d’imposition (cadastre). Il s’agit aussi de travailler sur l’élaboration de la planification urbaine, qui répond aux besoins de services et d’équipement à l’échelle territoriale. Ce processus collectif de construction permet d’aborder l’ensemble des questions liées à la vulnérabilité de ces territoires.
Ce type d’intervention permet de renforcer le processus de décentralisation : l’accompagnement technique et financier des villes intermédiaires donne véritablement corps à la décentralisation. Ces programmes permettent aux équipes de maîtrise d’ouvrage locales d’élaborer leur développement territorial sur le long terme, de façon participative. En construisant leur planification, les villes intermédiaires prennent conscience qu’elles disposent de champs de compétences importants et qu’elles peuvent véritablement influer sur l’avenir de leurs populations.
Quid de l’enjeu d’inclusion sociale et économique de la population dans ces projets ?
L’inclusion de la population dans les projets de développement est fondamentale. Elle peut se concrétiser par la création de comité locaux qui vont participer à la définition et la priorisation des investissements quartier par quartier. Ceci nécessite du temps et une ingénierie spécifique. Mais les résultats mettent en évidence des bénéfices réels comme une meilleure appropriation par la population et des opportunités pour les entreprises locales.
Au Cameroun, par exemple, nous mettons en œuvre des opérations de voirie, d’améliorations du mobilier urbain. Pour ce faire, nous avons recours à des méthodes dites de « haute intensité de main d’œuvre » selon les recommandations du BIT. Nous croyons beaucoup aux effets positifs de cette approche (redistribution des revenus, implication des populations locales, notamment des femmes). C’est un processus exigeant, ce qui explique notamment la durée de tels programmes, entre sept et neuf ans. Mais au final, le bénéfice social pour les populations est réel.
Le développement endogène de ces territoires est également un élément important de notre action. Si la ville secondaire est capable de procurer de l’emploi, il y est aussi plus facile d’avoir des services de base (logement, santé et éducation) à moindre coût. Cela permet de donner une réalité à la croissance inclusive. Les opportunités sont mieux centralisées au niveau des villes intermédiaires, par exemple pour développer des centres de traitement pour les filières agricoles et de petites et moyennes entreprises. Les villes intermédiaires deviennent alors des centres d’exploitation/exportation. C’est un objectif de développement que l’on souhaite renforcer, notamment sur la thématique de l’alimentation des populations en milieu urbain.
La vision de l’AFD sur les villes intermédiaires est-elle partagée avec les autres bailleurs ?
Oui, nous sommes vraiment dans une approche de « programme urbain territorial intégré », partagée par la quasi-totalité des bailleurs de fonds qui interviennent dans le domaine urbain. Ce programme intégré comprend un volet participatif – association des populations -, un volet équipement – voirie, équipements marchands, drainage, gestion des déchets, habitat, espaces publics – et un volet renforcement des capacités – à destination des administrations locales. Le dialogue régulier entre les bailleurs de fonds, incluant les acteurs de la coopération décentralisée, permet de coordonner les projets et d’opérer des complémentarités.
Au-delà, comment financer cette forte demande ?
Avec la crise de la Covid-19, la réflexion s’accélère au sein de la communauté des bailleurs de fonds sur le financement du développement et de l’inclusion urbaine : comment donner les capacités aux villes de créer de la relance durable ? Les villes sont des acteurs essentiels pour relancer les investissements de demain et, pour une large part, cela viendra des villes intermédiaires. Leur apporter les capacités de financement de l’investissement et de la relance est donc un enjeu important.
Or, actuellement, on constate que cette pandémie a créé une situation de déséquilibre des budgets locaux, notamment au sein des villes intermédiaires. Celles-ci enregistrent de fortes réductions de leurs recettes d’exploitation (les patentes, les droits de place, les taxes locales) et subissent parfois une diminution des transferts de l’État. Parallèlement, elles ont supporté des charges exceptionnelles : achats pour les équipements sanitaires, actions de solidarité, comme la distribution de repas aux familles les plus vulnérables, dans un contexte où le confinement a fortement réduit le travail informel et les revenus qu’il engendre.
À l’occasion d’un récent webinaire organisé par le Fonds mondial pour le développement des villes, Jean-Pierre Elong Mbassi, président de CGLU Afrique, a évoqué une baisse des recettes d’exploitation des villes intermédiaires africaines, comprise entre 25% et 40%. De fait, cette situation est de nature à réduire très fortement toute capacité d’investissement de ces collectivités locales, à court et moyen terme.
Alors, que faire concrètement ?
Pour faire face à ce besoin de financement des investissements des villes intermédiaires, il convient de construire une réponse multiple. Elle doit être coordonnée entre bailleurs de fonds et organisations qui travaillent sur la ville durable, notamment sur le continent africain. Dans un premier temps, il apparaît nécessaire de renforcer les dispositifs « classiques » d’appui à l’autonomie financière des collectivités (fiscalité locale, revenus d’exploitation des services publics, prévisibilité des transferts financiers de l’État). Il faut encore améliorer la qualité de la gestion budgétaire et financière et le financement des investissements locaux via des fonds d’équipement nationaux.
Dans un deuxième temps, il faut créer les conditions permettant aux banques locales, commerciales ou publiques, de prêter aux collectivités locales et notamment aux villes intermédiaires. Des mécanismes incitatifs et des accompagnements sont nécessaires car « l’acteur collectivité locale » n’est pas, dans la majeure partie des pays africains, un segment de clientèle clairement identifié par les banques locales. Dans cet objectif, l’AFD est en train d’élaborer, avec le soutien de l’Union européenne, un outil de garantie qui s’adressera aux banques locales, avec un montant en subvention pour garantir le remboursement du prêt qu’elles accorderont aux collectivités locales.
Ce type de mécanisme est déjà bien connu et mis en œuvre pour permettre le financement des entreprises, mais il reste inédit pour le financement du secteur public local sur des durées longues (au-delà de dix ans). Nous proposerons également un accompagnement technique aux banques locales intéressées afin de leur permettre de construire des grilles d’analyse des budgets locaux et des investissements programmés par les collectivités. L’enjeu est ici d’inciter les villes à programmer des investissements durables sur le moyen et long terme.
D’autres initiatives sont également prises, notamment en Afrique du Sud, où l’AFD s’associe à des investisseurs privés pour financer les villes intermédiaires, avec le soutien des services de la coopération suisse, qui apportent également un fonds de garantie.
De façon plus générale, le sujet du financement de la ville durable, c’est-à-dire de la ville résiliente aux crises, apparaît central dans la stratégie des bailleurs de fonds. Au-delà d’être un objectif de développement durable (ODD numéro 11), la ville durable est perçue comme l’échelle pertinente pour embrasser une très large partie des 17 ODD de l’ONU.