Dîner débat du 31 Janvier 2006
Invités :
Pierre-Noël Giraud, professeur d’économie à l’Ecole Nationale supérieure des Mines de Paris et ex-directeur du CERNA (Centre de recherche en économie industrielle), qui poursuit ses réflexions sur le sujet depuis 1996 où il a publié « L’inégalité du monde. Economie du monde contemporain »,
et
Jean-Christophe Servant, journaliste, spécialiste de l’Afrique et auteur, entre autres, de l’article récent du Monde Diplomatique : « La Chine à l’assaut du marché africain », mai 2005
La Chine est la quatrième puissance économique mondiale. Avec l’Inde, ces deux pays représentent 40% de l’humanité et ont un taux de croissance annuel de 10%. La Chine est le troisième partenaire commercial de l’Afrique après les Etats-Unis et la France. Devant ces constats, les professionnels de l’urbanisme et du développement se proposent de réfléchir aux enseignements à tirer de ces succès et aux perspectives de coopération et de croissance pour l’Afrique. Messieurs Giraud et Servant ont été invités à approfondir trois questions :
Quels ont été et quels sont les moteurs de la croissance et des performances économiques de la Chine et de l’Inde ?
Quelle politique de coopération vis-à-vis des PMA notamment vers l’Afrique ?
Existe t-il un modèle économique Chinois ou Indien dont les pays africains pourraient tirer des leçons ?
M.Giraud explique la montée en puissance progressive de la Chine et de l’Inde par une prise d’appui sur des capitaux humain et social conséquents, accumulés principalement pendant leur période socialiste. Le premier facteur de rattrapage est lié à un niveau de formation et d’éducation moyen des populations relativement bon. Le capital social s’est quant à lui érigé grâce à la démocratie parlementaire en Inde et à travers la politique ferme du Parti pour le cas chinois.
Aujourd’hui, les investisseurs tirent profit de ces points forts, particulièrement en Chine, ce qui s’y traduit par une phase de développement à une vitesse vertigineuse. Un effet d’accumulation renforce également cette tendance actuelle : les investissements, conduits par la perspective de marché, se concentrent territorialement.
Ceci soulève la question des possibilités pour l’Afrique de s‘inscrire dans une dynamique similaire dans l’avenir. Devant la finitude de la masse monétaire à investir au niveau mondial, le catalyseur des investissements ne peut vraisemblablement pas profiter à tous en même temps et il semble que les conditions ne soient pas encore réunies pour que les pays africains passent par cette « porte étroite ». Par jeu de cascade, il se pourrait que l’Afrique devienne « le bassin de main d’œuvre bon marché » de la Chine et de l’Inde une fois que ceux-ci auront atteint un certain niveau de développement.
Monsieur Servant a ensuite montré le regain d’intérêt actuel de la Chine pour le continent africain, logique s’inscrivant dans des relations Sud-Sud grandissantes au niveau international. La récente visite du Ministre des Affaires Etrangères chinois dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest marque la continuité de relations politiques toujours maintenues dans l’Histoire, mais, il semblerait qu’aujourd’hui les ambitions soient davantage commerciales. Ainsi, bien que les relations commerciales de Pékin avec l’Afrique représentent 2 % des échanges extérieurs chinois, on constate une dynamique grandissante impulsée par le « dragon asiatique » qui pragmatiquement a en premier lieu concentré ces activités en Afrique sur des segments économiques délaissés par les occidentaux (notamment les produits à très faible valeur ajoutée).
Les participants au dîner sont par la suite intervenus et ont réagi sur le thème du débat.
Quelques limites inhérentes au continent africain ont été rappelées. Tout d’abord, bien que le poids démographique du continent soit conséquent (bientôt un milliard d’habitants), l’Afrique souffre d’un morcellement politique mettant à mal l’unité du continent. Ceci n’est toutefois pas déterminant puisque l’Inde est également loin d’être un Etat centralisé mais a appuyé son développement sur quelques grandes villes constituant des pôles de croissance. En Afrique, un des enjeux est ainsi de favoriser l’intégration de quelques villes côtières dans l’économie mondiale, ce qui aurait des répercussions bénéfiques sur l’ensemble du tissu social. Il a été rappelé ici qu’au-delà des relations commerciales extérieures, le développement du marché intérieur constituerait un des enjeux fort du continent et ne doit surtout pas être négligé.
De plus, l’Afrique ne possède pas des capitaux humain et social aussi solides que les deux géants asiatiques. L’élite africaine représente en effet une très faible part de la population et les institutions et organisations possèdent un degré d’efficacité trop faible pour favoriser des logiques d’investissement fortes et permettre aux pays de se positionner devant la « porte étroite » du décollage économique.
Enfin, la manière d’envisager et de gérer le peuplement des villes contraste également entre l’Asie et l’Afrique. Le pilotage stratégique du Parti chinois induit ainsi actuellement une favorisation des flux migratoires vers les villes pour augmenter l’efficacité des échanges, avec une préparation relative en terme d’infrastructures, ce qui n’est pas le cas en Afrique.
Les perspectives pour l’avenir ont également été discutées.
La Chine apparaît de moins en moins impérialiste sur son territoire mais le risque sous-jacent de ce processus de démocratisation est l’amplification de la fragmentation sociale à l’intérieur du pays. Le modèle économique chinois ne risque-t-il pas d’en pâtir ?
Le fait que les chinois exportent aujourd’hui leur main d’œuvre en Afrique au lieu de sous-traiter aux entreprises locales (et ceci malgré un coût supérieur) pose également question. Il semble que les questions de sécurité et de langue soient au cœur de cette logique. Dès lors, y a-t-il une réelle volonté d’investir massivement en Afrique dans le futur ? L’approche pragmatique mise en œuvre jusqu’à maintenant par les chinois suggère que les investissements vont se concentrer sur leur territoire jusqu’à ce que la main d’œuvre à bas coût du pays soit quasiment totalement absorbée, ce qui pourraient prendre quelques décennies.
Le poids grandissant de la Chine au niveau international devrait toutefois donner un peu de fraîcheur aux relations entre les grandes puissances et les pays plus pauvres, car les relations d’intérêt entretenues par la Chine sont beaucoup plus explicites et moins insidieuses que ce qu’elles peuvent être aujourd’hui entre pays riches et pays pauvres.
Résumé réalisé par les élèves représentant le Master Ingénierie des Services Urbains en Réseaux dispensé à l’IEP de Rennes : Amandine Dukhan, Agnès Huchon, Pierre Lascabettes, Bénédicte Tardiveau et Guillaume Tricot.
Commentaire : de Philippe Martinet
La Chine a affectivement depuis quelques années décidé de faire main basse sur les projets de construction et d’aménagement en Afrique subsaharienne.
L’Agence Française de développement et les conseillers économiques des ambassades ronronnent tranquillement en se retranchant derrières des plans d’aménagement structurel et autres critères de bonne gestion, le tout dans une paperasserie pléthorique.
(C’est aussi valable pour les antennes de l’union européenne)
Pendant ce temps la Chine est à l’initiative de projets, elle est omniprésente dans les sphères des décideurs, elle importe ponctuellement de la main d’œuvre et surtout « elle propose des financements ».
Le décalage entre l’attitude attentiste et quelquefois hautaine de la France et le dynamisme « pragmatique » de la démarche Chinoise, ne peut qu’engendrer une perte de notre influence économique et politique dans cette région, ce qui, bien au-delà des vieux clichés post colonialistes, nuit fortement aux relations « presque affectives » unissant les peuples de l’Afrique francophone avec la population française.
J’ai eu l’occasion de déjouer les projets d’une société Malaisienne venue négocier une importante concession de bois en Afrique centrale.
C’est, il me semble, l’un des plus grands dangers que cette région court et à terme, l’ensemble de la biodiversité (patrimoine mondiale).
C’est aussi une vision économique à très court terme qui ne pourra que nuire au développement d’activités pérennes comme, notamment, l’écotourisme.
Lors d’un colloque à Paris, je m’étais entretenu, à ce propos, avec le vice président de la banque mondiale.
Celui-ci m’avait affirmé que c’était une des priorités du président !
Cet entretien date maintenant de quelques années et je n’ai pas franchement constaté d’actions dans ce domaine.
Philippe Martinet