Synthèse Journée d’Étude AdP
du vendredi 5 septembre 2008
LE FONCIER EN MILIEU URBAIN
Au CNAM, Amphithéâtre Abbé Grégoire, 292, rue Saint-Martin, Paris 3e
Le foncier en milieu urbain – 2008 (2.46 MB)
Document préparé par Nadia Trari et Robert Laugier
Dans un premier temps, Pierre Laye, chargé de mission du Ministère des Affaires Etrangères et Européenne, modérateur et animateur de cette journée, en présente la thématique en soulignant la relation entre foncier et cadre institutionnel dans un contexte de décentralisation. Il évoque le projet d’écriture d’un livre blanc sur le foncier élaboré sous l’égide du Comité foncier et développement coprésidé par l’Agence Française de Développement et le ministère des Affaires Etrangères et Européennes, puis présente les intervenants de cette journée.
Ouvrant la séance, Jean-Louis Guigou, ancien délégué de la DATAR et actuellement délégué général de l’Institut de Prospective Economique du Monde méditerranéen, propose des réflexions sur les relations entre théorie et pratique du foncier. Pour ce faire, il fait référence à certains écrits de Marx et de Walras analysant respectivement le profit et la propriété, l’évolution de la rente vers l’infini et du profit vers zéro aboutissant à une étonnante conclusion : un vrai capitaliste est pour la nationalisation des terres et un vrai communiste est pour la privatisation des sols. Il souligne ensuite l’importance des économies externes qui correspondent à une qualité d’aménagement des territoires, et évoque les analyses Marshall sur les formes d’occupation et d’usage que l’on peut encore observer en Grande-Bretagne (lease-hold et free-hold). Puis, il met évidence l’importance que peut avoir la fiscalité foncière pour contrebalancer le phénomène observable d’évaporation fiscale. Il défend l’idée de la municipalisation des sols et observe que certains pays en développement, en l’occurrence les pays musulmans, disposent d’importantes propriétés collectives qui pourraient être municipalisées et permettre l’introduction d’une fiscalité foncière locale. Enfin, en réponse à des questions, il souligne la quasi-inexistence des biens collectifs en France et estime que le foncier pourrait, dans l’avenir, entrer dans cette catégorie, notamment dans un contexte de mondialisation, d’éloignement des actifs et de pertes de ressources dans notre pays.
Emmanuel Moulin, délégué ministériel adjoint à l’action foncière, propose un panorama de la question foncière à l’échelle des 27 pays de l’Union européenne. Il décrit un contexte marqué par une croissance démographique faible, une périurbanisation accélérée, un accroissement des disparités sociales, une concentration de la pauvreté dans les villes, une concentration des populations dans la zone côtière fragile, une concentration des activités dans des conurbations où le foncier manque, une diminution de la population dans des centres villes devenus patrimoniaux. Ayant noté un objectif de la Charte de Leipzig de mai 2007 (« favoriser un développement urbain intégré sur la base d’un consensus viable entre l’Etat, les régions, les villes, les habitants et les acteurs économiques »), il indique et évoque brièvement les divers thèmes à enjeu : renouvellement urbain, logement, forme urbaine, qualité de l’environnement, etc. Il brosse le tableau du cadre d’exercice de l’urbanisme et de l’action foncière en Europe, commentant les différents contextes d’exercice de la gouvernance par les collectivités locales et soulignant que la fiscalité incite peu à l’urbanisation. Il propose enfin des orientations d’évolution des modes d’intervention sur le foncier à travers le droit des sols, l’urbanisme ou l’action directe de la puissance publique au moyen d’outils fiscaux et financiers. En conclusion, il identifie quels sont les facteurs de succès en la matière.
Joseph Comby, membre de l’Association des Etudes Foncières (ADEF) et Rédacteur en chef de la revue Etudes Foncières, revient sur les fondements des systèmes fonciers des pays en développement en rappelant l’influence historique de l’Acte Torrens qui fut mis en place en Australie en 1858, puis appliqué dans de nombreux pays colonisés, non seulement par l’Angleterre, mais aussi l’Espagne, l’Allemagne, la France. Il observe que ce droit de propriété est toujours en vigueur dans les pays africains et qu’il est en opposition à celui pratiqué en Occident qui se fonde sur une occupation paisible et durable du sol ou, autrement dit, sur une prescription acquisitive et où, chose importante la propriété n’est pas liée à une reconnaissance par l’Etat. Pour améliorer la situation dans ces pays, Joseph Comby propose plusieurs axes : accepter la coexistence de plusieurs droits différents, mettre l’administration en dehors des questions de propriété en optant pour la prescription acquisitive, développer une fiscalité foncière annuelle en supprimant la fiscalité sur les mutations. Les questions posées par la salle viennent parfois critiquer ce point de vue sur l’Acte Torrens, critiquent ou défendent l’utilisation d’une « quincaillerie juridique » ainsi que la validité de l’application de la prescription acquisitive.
Antoine Olavarietta, consultant, Territoires Conseil, après avoir évoqué les problèmes et enjeux liés à la très forte croissance démographique que connaissent les villes africaines, le besoin de foncier associé à cette croissance et les différents modes observables de production du foncier, rend compte de son expérience de vingt ans en Côte d’Ivoire où il a été conseiller auprès du ministre de l’urbanisme. Ayant rappelé quelques éléments quantitatifs caractérisant l’évolution d’Abidjan, les plans successifs élaborés au cours des ans, il évoque les divers acteurs en présence (acteurs locaux divers, acteurs internationaux de la coopération) et les actions menées, comparant les résultats obtenus par les organismes officiels dans la production de parcelles équipées ou non équipées, ce qui correspond donc à une séparation de la production foncière stricto sensu de la production d’infrastructures et d’équipements sociaux. Il note que les parcelles de qualité se sont avérées nettement minoritaires. Il précise et commente les axes, dispositifs et évolutions de la politique foncière, l’importance des « coutumiers », le désengagement de l’Etat du secteur de l’habitat et le démantèlement du système de production de foncier en conséquence de la crise économique du milieu des années 1980 et souligne le faible rôle tenu par les collectivités locales. Suite à cet exposé, des interventions soulignent l’importance de la corruption et reviennent sur les raisons de cette faiblesse des collectivités locales en Côte d’Ivoire.
Vincent Renard, économiste, Ecole Polytechnique, ayant travaillé pour divers organismes internationaux et de coopération, principalement en Amérique latine et en Asie, faisant référence à ces expériences, souligne tout d’abord les échecs associés à l’exportation des techniques urbaines, comme par exemple les principes de densité, les pratiques d’enregistrement des transactions foncières, les codes d’urbanisme ou encore les principes de propriété du sol, qui sont souvent inadaptés aux situations de ces pays. Il affirme ensuite que le temps de la planification est révolu, une notion qui laisse la place à celle de projet, avec souvent des approches beaucoup plus pragmatiques : l’arrivée du projet induit une recherche et une utilisation du foncier. Il observe à ce sujet des formes de spécialisation des territoires. Il aborde ensuite diverses situations, configurations et pratiques de la propriété, évoquant le rôle du marché, les pratiques d’accession à la propriété, soulignant au passage l’absurdité de l’introduction de la propriété par actions dans certains pays. Ceci l’amène à distinguer plusieurs catégories pour la nature des droits de propriété et à évoquer la complexité des pratiques de droit de propriété négociable. Les interventions reviennent sur les politiques de titrisation initiées notamment par la Banque mondiale et soulignent le manque d’études d’évaluation de ces politiques, une étude récente semblant en démontrer le relatif échec.
Aurore Mansion et Virginie Rachmuhl, sociologues au GRET, rendent compte d’une mission d’assistance technique à la maîtrise d’ouvrage effectuée à Nouakchott dans le cadre d’une coopération de type PDU (Programme de Développement Urbain) sur deux opérations de restructuration foncière effectuée en quartier précaire, la première portant sur la « kébé » El Mina et la seconde, encore en cours, sur les « gazeras ». Après avoir décrit la morphologie urbaine et de l’habitat des quartiers concernés, indiqué quels étaient les différents statuts et modes d’occupation du sol et du logement, et rappelé quels étaient les modes d’intervention de l’Etat mauritanien et les modes de gestion du foncier avant l’arrivée de la communauté internationale et le lancement du PDU, Aurore Mansion présente les moyens, principes et objectifs du PDU. Elle décrit ensuite les choix opérationnels effectués : remembrement et lotissement, déplacement des populations, indemnisation, projet d’accès à la propriété. Puis, Virginie Rachmuhl décrit le schéma institutionnel mis en place et son fonctionnement. Elle propose une évaluation des impacts socioéconomiques de ces opérations en termes d’intégration des quartiers concernés à la ville, d’inclusion sociale des habitants, d’étalement urbain notamment pour les gazeras, soulignant les éléments de relatif succès pour la « kébé » où la population s’est montrée assez satisfaite, mais aussi l’existence de pratiques de revente après accession à la propriété, donc une tendance à la spéculation. Le débat qui suit soulève les problèmes liés au déplacement des populations, à la présence ou non d’activités dans ces nouvelles parcelles, à la forme urbaine ainsi créée, à l’accès aux services, à certains effets pervers de l’organisation de la redistribution foncière. Avec des commentaires sur le cas de Nouakchott mais aussi sur celui de New-York d’un point de vue historique, de Kinshasa, d’Addis-Abeba, le débat précédant la clôture de la journée est l’occasion d’échanges autour des questions du devenir de la ville et de la définition de sa trame : prépondérance et facilité du modèle orthogonal, question du modèle de ville, absence de vision à long terme notamment pour la gestion urbaine, manque de ressources pour assurer la fourniture d’équipements, etc.
Hugues Leroux, consultant, propose des réflexions fondées sur son expérience de participation à de nombreuses missions d’adressage effectuées dans un cadre de coopération internationale dans plusieurs villes et pays d’Afrique, et sur la relation entre la mise en place de l’adressage et le développement de la fiscalité locale. Il indique les objectifs et avantages liés à l’adressage pour les collectivités locales, les habitants, les services de distribution d’eau et d’électricité. Il évoque ensuite les applications fiscales liées au développement et à la consolidation de fichiers d’adressage : taxe de résidence, taxe sur les activités. Il souligne l’importance d’une bonne coopération, au niveau municipal, entre les services responsables de l’adressage et les services fiscaux chargés de l’émission ou du recouvrement. Les faiblesses organisationnelles et le manque de coopération entre ces services, ainsi qu’un manque de pérennisation de l’action d’adressage expliquent la faible proportion prise par cette fiscalité dans les revenus municipaux. En réponse aux questions de la salle sur l’implication des habitants, Hugues Leroux revient sur les arguments permettant d’intéresser les populations à l’adressage pour ce type d’opération ne soit pas perçue uniquement comme un objet fiscal. Il revient également sur le problème de la pérennisation de ces opérations et leur prise en charge locale.